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L’apothéose Miyazaki
La vie de Jiro Horikoshi, designer d’avions qui conçoit le Zéro, fer de lance de l’armée japonaise pendant la seconde guerre mondiale. Et sa touchante histoire d’amour au cœur d’un siècle en plein chamboulement. Les Zéros seront utilisés à l’inverse des rêves progressistes et humanistes de leur créateur…
L’aversion profonde de Miyazaki pour la guerre n’est un secret pour personne, pas plus que sa fascination des machines volantes – elles pullulent dans ses œuvres, de « Le Château dans le ciel » (1986) à « Porco Rosso » (1992). Il fut d’ailleurs longtemps question que Miyazaki donne suite aux aventures de son cochon pilote d’avion. Il ne le fera sans doute pas, mais on peut en retrouver les traces dans « Le vent se lève ». Ce dessin animé raconte autant le parcours de Horikoshi que celui du Japon au XXe siècle, de la grande dépression à l’entrée du pays en guerre. Le créateur de « Mon voisin Totoro » (1988) et « Kiki la petite sorcière » (1989) y emploie un ton différent, beaucoup plus réaliste que d’habitude, à l’exception d’une poignée de scènes oniriques. Car « Le vent se lève » est aussi l’histoire d’un échec : celui d’un homme détourné de ses rêves par la réalité des choses, qu’il s’agisse de la guerre ou de la tuberculose qui s’empare de la femme qu’il aime. Coïncidence malheureuse, « Le vent se lève » doit faire face lui aussi à un contexte particulier, en sortant au Japon au moment où le premier ministre Shinzo Abe veut amender la constitution pour renforcer le pouvoir de l’armée. Le film, d’une part, mais aussi une tribune rédigée par Miyazaki, l’ont mis dans le collimateur des conservateurs, qui ont qualifié le réalisateur de traître et d’anti-japonais. Extrait : « Si j’étais né un peu plus tôt, je serais sans doute devenu un pro-militaire, mais mon enfance a nourri le sentiment que nous avons mené une guerre profondément stupide. » En 2011, lors de l’annonce du film, il avait pourtant clairement formulé ses intentions, en s’inspirant d’une citation de Horikoshi : « Tout ce que j’ai voulu, c’est construire quelque chose de beau ». « Beau » : « Le vent se lève », entre allégorie céleste et requiem pour une utopie, l’est plus qu’assurément.
Inutile de le préciser : l'animation est éblouissante. On sait Miyazaki passionné par les phénomènes physiques. Sur la déformation des liquides, la séquence du bain du dieu putride dans Le Voyage de Chihiro atteignait des sommets. Ici le studio relève un nouveau défi : faire sentir un élément aussi impalpable que le vent ! Naoko peint en pleine nature, soudain il pleut, son parasol s'envole. Il faut voir alors comment la résistance d'un parapluie aux ruissellements d'une averse est illustrée par le seul dessin ! On sait désormais que ce sera le dernier film de Miyazaki. Très différent des précédents, il clôt comme un point d'orgue mélancolique une filmographie passionnante…