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Le dernier mouvement de la 6e Symphonie de Gustav Mahler, originellement dite « Tragique », est bien marqué par trois coups de marteau – « trois coups du destin, dont le troisième fait tomber (le héros) comme un arbre ». Et l'histoire nous dit que, dans l'année qui suivit la création, après que le destin l'eut par trois fois violemment frappé, par superstition, le compositeur retira du final le troisième et dernier coup de marteau.
C'est par cette porte d'entrée improbable que Victor, quatorze ans et virtuose du foot, fait connaissance avec la musique et entreprend maladroitement de la raconter à sa mère. Pas qu'il ait eu une révélation soudaine : son destin à lui, c'est de suivre sa passion sur un chemin tracé en ligne droite – qui mène du terrain caillouteux où il s'entraîne au soleil du midi jusqu'à la pelouse des plus grands stades, en passant, pour l'heure, par le centre de formation du club qui l'a repéré. Pas non plus qu'il se soit soudainement amouraché de la flûte ou du violon contre lesquels il aurait la tentation de troquer son ballon de cuir et son maillot bleu. Non, ce qui a mené Victor à Mahler, c'est son père. Son père absent, son père inconnu et dont sa mère ne lui parle pas. Son père chef d'orchestre renommé et qui est de repassage dans leur ville, pour diriger justement cette Symphonie no6. Ce père que, sur un coup de tête, parce que trop de choix de vie lui sont à ce moment demandés, parce qu'il y a des choses qu'il faut élaguer, il décide de rencontrer.
Il faut dire que, mis à part le ballon et le regard de sa mère, il n'y a pas grand chose qui illumine sa vie à ce gosse qui renâcle à entrer dans l'adolescence. Pas de ronds, le mobile-home de fortune qu'ils occupent à côté d'une plage est des plus précaires – et voilà justement que sa mère lui annonce coup sur coup qu'elle baisse les bras, qu'elle va arrêter son traitement anti-cancéreux et qu'ils vont partir s'installer chez ses parents. Alors, comme un petit bélier entêté lâché sur un terrain de foot, il y va à l'instinct. Sans trop savoir ce qu'il va provoquer mais avec ce qu'il faut d'assurance et de détermination pour passer tous les barrages et forcer son acceptation par un monde qui n'est pas le sien.
Comment ça s'invente, un amour filial ? Comment ça se découvre, un père ? Victor, les yeux grands ouverts solidement plantés dans le regard des adultes, ne se pose pas clairement toutes ces questions. Il observe. Regarde intensément ce grand colosse taiseux, froid et distant qui dirige les autres à la baguette. Cherche la faille, la parenté. Et de fait… aussi hermétiquement buté que Grégory Gadebois, étonnant chef d'orchestre, le jeune Romain Paul porte avec Victor toute l'énergie du film : épatant de justesse et de réalisme, sérieux comme un pape – et d'un seul coup absolument magnifique dès qu'un sourire vient illuminer son visage. Petit corps nerveux toujours en mouvement, il fait le va-et-vient entre sa mère, magnifique Clotilde Hesme, fragile, comme en apesanteur, qu'il lui faut supporter, et la présence massive, tellurique, solidement plantée dans le sol et dans la vie, de ce père contre lequel il vient buter. Sans jamais forcer le trait, Alix Delaporte filme amoureusement les gestes arrêtés de ces corps empêtrés et malhabiles à se découvrir, s'attarde sur les regards et les non-dits plutôt que sur les longues explications… Et, brassant avec élégance le naturalisme et de belles envolées poétiques, effleurant l'évidence des sentiments, tutoyant à peine l'émotion, raconte sans chichis la sortie de l'enfance à hauteur d'enfant. Une petite merveille.