Une étendue de rêve immaculée… Ici le ciel finit par se confondre avec la terre. Ici le moindre bruissement résonne comme un début de chanson ancestrale dont seuls les Iakouts devinent la rime. Nous sommes au bout du monde, au nord de la Sibérie. Nanouk et Sedna semblent avoir perdu leur âge au détour d’une de ces dunes d'un blanc limpide. Partout la neige nous enrobe de sa beauté glacée mais néanmoins organique. Seules les tenues traditionnelles de Sedna, le son de sa guimbarde bousculent l’ordre établi par le sempiternel hiver feutré, amènent la touche colorée qui permet d’espérer un printemps. Le climat polaire qui givre toute chose ne semble jamais atteindre les cœurs du vieux couple. Ils battent chaleureusement au gré d’une tendresse immuable, déteignant l’un sur l’autre, prenant soin l’un de l’autre, sans avoir besoin de le déclarer. Peu de mots se disent, aucune grande déclaration. Peut-être par peur de troubler la quiétude environnante, ou tout simplement parce que ce n’est pas l’usage dans cette civilisation en voie de disparition.
Au-dessus de leurs têtes les avions passent haut dans le ciel, laissant des traînées qui ne tarderont pas à disparaître, elles aussi. Parfois la radio leur amène une musique lointaine. Parfois un ravitaillement venu d’une ville lointaine parvient jusqu'ici. Que l’époque change, que les moteurs vrombissent, Sedna et Nanouk restent-là au fond de la toundra avec, comme seuls remparts contre les tempêtes, les tentures de peau de leur frêle yourte. Rivés à un quotidien pragmatique, ils se contentent de vivre en essayant de rendre leur monde moins hostile, avec pour compagnon leur chien de traîneau tout aussi attentif et silencieux qu’eux. Les jours se succèdent, paisibles, amoureux. Les actes le prouvent. Nanouk sait quand passe le gibier, où creuser la glace pour ramener du poisson ou tout simplement de l’eau potable. Sedna connait les rares herbes qui poussent dans la toundra, celles qui soignent, les manières d’accommoder leur maigre pitance. Ils se guettent, s’attendent en silence. On goûte la luminosité des paysages, le calme de leur quotidien rempli d’âme, d’écoute. On les découvre seuls, courageux, on les admire. Ensemble ils forment un tout qui se complète, comme deux inséparables. Puis on se prend à redouter le pire… On ne sait trop pourquoi. Un sentiment diffus, un danger qui guette, tapi dans l’ombre, les saisons qui se dérèglent, le temps qui semble s’accélérer. Et puis Ága… Ce prénom inoubliable qu’on évite de prononcer, mais qui rôde dans les têtes, qui plane toujours à proximité.
Milko Lazarov, cinéaste bulgare dont c'est le deuxième film, nous offre un moment inoubliable, terriblement beau. Il suffit de se laisser transporter dans son rythme particulier, bien emmitouflé dans notre confort moderne. Alors la magie opère, magistrale, tenace. Les prises de vues sont sublimes, qu’elles embrassent les paysages infinis ou se glissent au plus près des acteurs.