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La Journée du chasseur
L'humour qu'on trouvait dans Valley of Love est bien là, ne serait-ce dans le fait d'afficher "The End" au milieu de l'écran en tout début de film – en anglais bien sûr, parce qu'il n'est pas question d'oublier que c'est aussi le crépuscule d'une idole du cinéma que Nicloux met ici en scène, avec la complicité du formidable acteur (très gracieux du reste dans la manière dont il accepte la démarche et l'accompagne). Cependant, la "piste du lapin" sur laquelle il lance son personnage ce matin-là – alors que ce beauf solitaire et ventru qui parle à son chien Yoshi en mangeant ses tartines devant sa collection d'assiettes décorées croit partir à la chasse – est bien plus inquiétante que le "pays des merveilles" de Carroll et moins ensoleillée que la "vallée" du film avec Huppert. Ici, on s'enfonce dans l'obscurité d'une forêt hostile où c'est le chasseur qui se sent traqué.
Ainsi perdu (comme un grotesque Petit Poucet marquant son chemin avec des bouteilles de Schweppes et des mégots), esseulé, transformé en proie, il adopte les attitudes et gestes d'une bête terrorisée, et Nicloux joue de l'animalité que peut exprimer le corps du comédien pour produire un effet de contraste presque tragique avec son humanité : son esprit pensant éberlué qui lui répète que "ce n'est pas possible" et sa compassion qui fait de lui par nature un protecteur plus qu'une victime (comme quand il essaie d'aider la maigre fille nue qui apparaît devant lui et en qui il voit une compagne d'infortune encore plus malmenée que lui par ces bois cauchemardesques). Parce que ce contraste est profondément triste, on voit vite que le spectacle auquel on assiste ici n'est pas le récit de la journée d'un chasseur (du reste pas du tout sanguinaire mais au contraire très respectueux des règles de la chasse). Ce dont Nicloux nous fait les témoins, c'est l'enfer banal d'un homme en fin de soixantaine qui, malgré sa générosité bonhomme, se réveille chaque matin un peu plus seul.