Sofia TP

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Sofia, 20 ans, vit avec ses parents à Casablanca. Suite à un déni de grossesse, elle se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage. L’hôpital lui laisse 24h pour fournir les papiers du père de l’enfant avant d’alerter les autorités…

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CANNES 2018: UN CERTAIN REGARD

Un silence assourdissant

Un soir, une jeune femme victime de maux de ventre est emmenée à l’hôpital où les médecins révèlent une situation qui va entraîner une réaction en chaîne dans un contexte où le statut de la femme est loin d’être enviable…  Lauréate de la Fondation Gan en 2017, c’est à Casablanca que Meryem Benm’Barek-Aloïsi a tourné son premier long, Sofia, sous la houlette experte du producteur Olivier Delbosc. Diplômée de l’Institut national supérieur des arts du spectacle (Insas) de Bruxelles, la réalisatrice marocaine a reçu le grand prix du court métrage au Festival de Rhode Island et le prix du jury à Atlanta pour Jennah (2014), son film de fin d’études qui a concouru aux Oscars en 2015. “C’est un portrait du pays aujourd’hui, déclare la cinéaste. Je ne voulais pas faire un film qui parle seulement de la condition de la femme. Celle-ci est toujours montrée comme la victime d’une société patriarcale, or je ne crois pas que l’on puisse parler de la condition féminine sans parler de la société elle-même. La place des femmes se définit en  fonction d’un contexte socio-économique.” Quant à ses partis pris esthétiques, Meryem Benm’Barek-Aloïsi déclare : “Je souhaitais une grande sobriété dans la mise en scène. Je n’avais pas envie d’être nécessairement à la mode. J’aime le cinéma d’Asghar Farhadi, Nuri Bilge Ceylan ou encore Cristian Mungiu. Ce sont des auteurs qui m’inspirent autant sur le fond que sur la forme.”  Distribué par Memento, Sofia sortira le 19 septembre.

C’est un Maroc complexe, que l’on voit peu au cinéma, que nous montre ce premier film percutant. Il commence par l’histoire presque banale d’une jeune fille, Sofia, pour embrasser des enjeux qui dépassent largement ceux du simple cadre familial. D’ailleurs, la première phrase du film donne le ton : ici, « sont passibles d’emprisonnement toutes personnes ayant des relations sexuelles hors mariage. »
Sofia… Avec ses airs maussades de chatte échaudée, on croirait presque qu’elle est une de ces « fatmas » embauchées au service d’une famille bourgeoise casablancaise tant on a du mal à deviner qu’elle en fait partie intégrante. Pourtant ce sont bien ses oncle et tante auxquels elle apporte les plats ; et la jolie demoiselle à leurs côtés, svelte et élégante, est bel et bien sa cousine Lena. Au premier coup d’œil, il semble clair que les deux jeunes femmes n’ont de commun que le nom et qu’elles ne sont pas de la même extraction sociale. Lena a l'élégance naturelle, un niveau culturel suffisant pour boucler ses études de médecine et devenir indépendante, l’aisance et l’assurance de celles qui sont bien nées. En témoignent son maquillage discret, ses vêtements occidentaux, tandis que Sofia transpire fébrile sous une Djellaba informe qui semble la prédestiner à une vie arrangée par d’autres. Lena ne lui prêterait d’ailleurs guère attention si elle ne se sentait investie de son rôle de future toubib. Car sa cousine a beau essayer de minimiser la chose, les grimaces que lui arrachent les maux de ventre qui régulièrement l’assaillent deviennent progressivement difficiles à dissimuler. Quand enfin elle se laisse examiner par Lena, à l’abri des regards, dans l’intimité de la cuisine, le diagnostic est cinglant : Sofia est enceinte, voire au bord d’accoucher. L’enfant à naître devenant une preuve criante que la jeune fille en fleur a fauté, hors mariage. Une grossesse tellement impensable et si peu désirée qu’elle ne l’a même pas ressentie, ni soupçonnée.
Prétextant l’amener à la pharmacie, Lena embarque sa cousine dans un périple palpitant entre hôpitaux, postes de police et bas quartiers de Casablanca dans l’espoir de trouver une solution tout en cachant la situation à la famille. Plus l’intrigue avance, monte en puissance, plus on mesure combien cette course contre la montre est désespérée. Trouver une main tendue dans un pays qui promet la geôle aux êtres secourables est quasiment peine perdue. C’est un poids terrible qui pèse tant sur les épaules des soignants qui pourraient être compatissants que sur celles des fonctionnaires qui collaborent peu ou prou à un système injustement répressif. Plus Sofia se tord de douleur sous l’effet des contractions, plus on doute qu’elle puisse trouver un havre où accoucher en paix. Et quand bien même, il lui faudrait encore dénoncer un géniteur ou un violeur dans l’espoir, si ce n’est d’éviter, du moins de réduire la sentence qui menace de s’abattre sur elle. Mais on devine qu'une peine acceptée et purgée ne serait même pas suffisante pour endiguer la vindicte populaire. Quelques instants de tendresse ou de désir chèrement payés ! se dit-on, mais rien ne sera, là encore, aussi simple qu'on l'imagine. 
L’histoire de Sofia, très réaliste, est l’occasion d’aller explorer les arcanes cachés d’une société qui, sous ses airs modernistes, maintient une partie de sa population (féminine comme masculine) dans des carcans séculaires. Le film devient alors dénonciation sociologique et politique, jamais démonstrative mais ô combien efficace.