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Dans le New York Times, Paul Krugman, Prix Nobel d’économie en 2008, écrit que The Big short « réussit génialement à rendre distrayantes les arnaques de Wall Street et à exploiter l’humour noir inhérent à la manière dont tout s’est écroulé ».
Réalisateur-phare de la nouvelle comédie américaine aux côtés de son comparse et ami Will Ferrell, relativement méconnu en France, Adam McKay décale avec The Big short son angle de tir. Loin des délires absurdes et infantiles qu’il affectionne, le sujet est cette fois plutôt grave, puisqu’il s’agit de la crise des subprimes, étincelle inaugurale d’une crise économique mondiale. McKay, qui pas plus qu’un autre ne se refait, n’en signe pas moins un film drôle, mais d’un nouveau genre dans l’ordre du rire, qu’on pourrait nommer « comique pédagogique ». Le défi n’est pas mince : il s’agit à la fois de divertir en montrant une brochette de personnages passablement allumés, mus par des affects schizophréniques, et d’informer le spectateur en lui expliquant les mécanismes spéculatifs financiers relativement complexes qui nourrissent leur pathologie.
Ce qu’il faut donc souligner – par comparaison avec d’autres œuvres remarquables qui se sont emparées du sujet, du documentaire Inside job, de Charles Ferguson, au Loup de Wall Street, de Martin Scorsese – c’est le côté retors du film. The Big short raconte en effet l’histoire d’une brochette de financiers qui, plus clairvoyants que les autres, ont décelé le caractère délictueux des prêts hypothécaires consentis aux particuliers par les banques, et vu venir l’énormité de la crise des subprimes qui allait s’ensuivre. Tout l’intérêt du film consiste à montrer comment ces personnages, qui ont raison contre leur milieu, vont se positionner à la fois professionnellement et moralement par rapport à ce qu’ils perçoivent comme une catastrophe annoncée.
C’est très exactement en cette délicate articulation que le film gagne ses galons. Car si tous entrent en lutte contre la gigantesque manœuvre qui gangrène les milieux financiers, c’est essentiellement par les mêmes moyens et pour les mêmes fins : la spéculation financière, l’enrichissement personnel, le shoot d’adrénaline. Ces hommes-là ont beau être dans le vrai, ils n’en misent pas moins sur l’effondrement général, des spéculateurs comme de leurs victimes, pour mettre du beurre dans leurs épinards. Voilà en un mot la grandeur de The Big short, qui est de nous rappeler que la probité ne sort jamais gagnante d’un système où l’ultime valeur, le serait-elle au nom d’une certaine définition du bien public, est le profit.
Loin d’être sentencieuse, cette petite leçon de choses néolibérales s’appuie sur une dramaturgie pleine de tension, filme le huis clos à la manière d’un documentaire… et tire grand profit d’acteurs à l’abattage frénétique. Christian Bale campe ainsi impérialement Michael Burry, ex-neurologue, génie des algorithmes, gestionnaire de fonds excentrico-autarcique, amateur de rock metal et massacreur de batterie, inventeur du mécanisme qui permettra à tous les personnages du film de rafler la mise au moment où Wall Street la perdra.
Steve Carell, grande mèche teinte rabattue sur le front, incarne Mark Baum, sorte de Saint-Just perpétuellement indigné d’un milieu dont il fait pourtant partie intégrante, ce qui l’énerve encore plus. Ryan Gosling est Jared Vennett, un jeune loup de Wall Street froid comme la mort, qui a lui aussi senti le coup venir. Finn Wittrock et John Magaro interprètent quant à eux deux jeunes ambitieux gestionnaires de fonds qui vont s’adjoindre le concours d’un ex-trader devenu un intégriste de l’écologie (Brad Pitt) pour jouer dans la cour des grands. Autant de héros dont la victoire sera célébrée par un désastre, invitant à considérer The Big short comme une tragédie qui ne dit pas son nom.