Un homme plus tout jeune (on apprendra vite que c’est le Collini du titre) entre dans une suite, au quatrième étage d’un hôtel de luxe berlinois, et abat de trois balles dans la tête Hans Meyer, PDG renommé, personnalité respectée de la haute société allemande. Puis l’homme quitte la chambre, prend l’ascenseur pour regagner le hall et demande à la réceptionniste d’appeler la police. « Chambre 400. Il est mort. »
Le jeune avocat Caspar Leinen – il s’est inscrit au barreau 42 jours plus tôt – est commis d’office pour assurer la défense de l’assassin présumé. L’affaire semble simple, a priori sans appel, mais Leinen ne comprend pas comment cet ancien ouvrier de chez Mercedes, en apparence un homme sans histoires, peut être lié au grand industriel octogénaire, et pourquoi il a voulu le tuer. Et ce n’est pas Collini qui va lui expliquer quoi que ce soit puisqu’il se mure dans un silence obstiné…
L’avocat débutant est d’autant plus troublé que Hans Meyer était le grand-père de son meilleur ami et de son ex-amour de jeunesse. Quand il commence ses recherches pour défendre son client, Leinen ne se doute pas qu’elles le mèneront au cœur d’un chapitre particulièrement sombre de l’Histoire allemande, dont l’affaire Collini constitue simplement l’épilogue…
En matière de procédure juridique et du passé nazi de l’Allemagne, Ferdinand von Schirach, l’auteur du roman (publié en 2011) dont est tiré le film de Marco Kreuzpaintner, sait de quoi il parle : avocat en droit criminel, il a usé les bancs des prétoires avant de se lancer dans l’écriture et de devenir auteur de best-sellers ; petit-fils de Baldur von Schirach, le dirigeant des Jeunesses hitlériennes (jugé à Nuremberg aux côtés d’Hermann Göring ou Rudolf Hess), il a assumé le douloureux travail de mémoire sur les crimes du nazisme. C’est sans doute cette connaissance intime de son sujet qui donne à L’Affaire Collini son authenticité et sa puissance, et qui a assuré l’immense succès du livre outre-Rhin. L’histoire vraie d’un crime de droit commun aux mobiles mystérieux permet de tirer le fil historique d’une société allemande gangrenée par l’héritage du nazisme et l’impunité accordée à ses cadres.
En 1949, lors de la création de la République fédérale d’Allemagne, la politique du chancelier Konrad Adenauer reposait sur la réintégration massive des citoyens ayant fait l’objet de procédures d’épuration par les Alliés après guerre. Cette politique rencontra l’assentiment tacite de la population qui avait massivement adhéré au national-socialisme (le parti nazi comptait 7,5 millions de membres à la fin de la guerre). Un grand nombre d’anciens nazis furent ainsi réintégrés dans la fonction publique, notamment dans la justice, ce qui explique le peu d’empressement des magistrats à poursuivre les crimes du IIIe Reich : au cours des années 50, la justice ouest-allemande ne condamna ainsi qu’une trentaine de personnes pour crimes commis sous le nazisme. L’opinion publique commença à évoluer dans les années soixante, avec le retentissement du procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem et du procès de Francfort initié par Fritz Bauer. Et ce n’est que récemment que le cinéma allemand s’est emparé du sujet, avec quelques films forts que vous n’avez sans doute pas oubliés : Hannah Arendt (2013), de Margarethe Von Trotta, Le Labyrinthe du silence (2015), de Giulio Ricciarelli, ou Fritz Bauer, un héros allemand (2016), de Lars Kraume…