Dans son premier film, L'Air de rien, Gregory Magne réunissait deux hommes que tout séparait : Michel Delpech dans son propre rôle de chanteur un peu has been et beaucoup endetté et un huissier de justice pas du tout huissier dans l'âme. L'alchimie improbable entre ces deux-là, ressort classique au cinéma, faisait de belles et tendres étincelles, livrant une comédie douce et attachante sur le temps qui passe et les filiations impromptues qui se créent au hasard des rencontres. Il reprend ici le même comédien – Grégory Montel, déconcertant de drôlerie et de naturel – et sensiblement la même formule du « duo a priori mal accordé » mais pousse un peu plus loin son exploration de l'alchimie entre deux corps étrangers plongés dans un même bain. Et toute allusion avec la chimie moléculaire n'est pas fortuite, bien au contraire.
Si Guillaume a un talent, c'est bien celui de s’accommoder de toutes sortes de situations, si douloureuses soient-elles. Optimiste, il l'est assurément quand il s'agit de rester motivé pour demander la garde de sa fille, alors qu'il vit sans vrai boulot fixe dans un studio où il aurait déjà du mal à caser un hamster… alors une pré-ado ! Mais notre homme a le contact aisé, il est chaleureux et sympathique et prend avec beaucoup de sérieux son travail de chauffeur privé, conduisant des limousines pour le compte de Monsieur Arsène (impayable Gustave Kervern, gominé comme un caïd mais gentil comme un Gustave Kervern, qui a établi son siège social au fond d'un restaurant chinois). Il n'y a pas de sot métier et celui-ci, aussi précaire soit-il, lui assure de quoi sortir sa fille adorée les samedis après-midi.
Justement, une certaine Anne Walberg a commandé une berline pour la province et au son de sa voix hautaine dans l'interphone, Guillaume sent déjà que ça ne va pas être une partie de rigolade. De fait Anne Walberg n'est pas du genre facile. Outre ses valises imposantes qu'il faut manipuler avec la plus grande délicatesse, elle ne se déplace jamais sans ce petit pincement des lèvres de la nana perpétuellement agacée par n'importe qui ou n'importe quoi. Guillaume va rapidement lui faire comprendre qu'il est juste son chauffeur, pas son assistant, ni son majordome, ni son souffre-douleur… La voilà piquée au vif : c'est bien la première fois qu'on la remet à sa place, ça lui fait tout drôle… et beaucoup de bien !
Car bien sûr, Anne Walberg (Emmanuelle Devos, impériale comme toujours) trimbale une histoire aussi lourde à porter que ses malles. Nez pour les plus grands parfumeurs, elle a connu son heure de gloire, son talent s’arrachait dans le monde entier… Jusqu'au jour où… panne de sens. Son nez a décidé un beau matin de déclarer forfait, incapable soudain de distinguer une essence de néroli d'une effluve de goudron. Déclassée du jour au lendemain, lâchée par les prestigieuses maisons et les amis, Anne vit désormais de petites missions olfactives. Elle a perdu de sa superbe et s'est peu à peu coupée des autres… Cela dit, Anne n'a jamais été douée pour les rapport humains, préférant de loin la compagnie des hespérides, des floraux, ou des boisés contenus dans ses flacons. Mais la rencontre avec Guillaume va changer la donne… Parce qu'il est nature, parce qu'il est sincère, parce qu'il ne ment pas dans son rapport aux gens et aux situations. Quand à lui, il trouve chez Anne l'exigence, la rigueur, la persévérance et la maturité qui manquent indiscutablement à sa vie quelque peu bancale.
Sans surtout parler d'amour – ce serait une terrible faute d'écriture que Grégory Magne ne commet heureusement pas – ces deux-là vont partager quelques souvenirs… l'odeur d'un savon de l'enfance, celle de l'herbe d'un pré fraîchement tondu et mêler leurs émotions timides pour écrire une très belle et rare histoire d'amitié et de collaboration. Plus originale qu'une histoire de cœur, une belle histoire de nez.