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En cette période anniversaire de la première Guerre Mondiale, le cinéma nous offre une sorte de panorama de ces années sombres. Après le radical La Peur, après le beau film britannique Mémoires de jeunesse et avant le formidable film d’animation Adama, Gilles Legrand signe un film romanesque et sensuel autour de la rencontre de deux personnages abîmés par la guerre et qui tentent de se reconstruire. Été 1918. La guerre fait rage pour quelques mois encore, mais pour Charles elle est déjà finie. Officier de cavalerie, il y a laissé une jambe et rumine dans son domaine sur sa nouvelle condition de riche estropié. C’est alors qu’arrive au château une jeune femme, Angèle, accompagnée de sa fille. Angèle est infirmière à domicile, elle vient de perdre au front son grand amour, le père de sa petite fille. La jeune femme soigne Charles avec doigté et bienveillance, évoque avec lui les douleurs fantômes du membre absent, lui apporte légèreté et bonne humeur. Très vite ils nouent une complicité joyeuse qui les ramène à la vie. Elle est une cavalière émérite, elle est spirituelle, elle joue au billard et fume le cigare. Autant de qualités qui subjuguent littéralement le capitaine de cavalerie… lequel ne tarde pas à lui demander sa main. Mais Angèle ne le voit pas de cet œil, elle est encore amoureuse du père de sa fille et elle se refuse à trahir ses sentiments. Il leur faudra entrer dans une autre guerre, intime celle-là, contre eux-mêmes et contre l’autre, avant d’accepter l’évidence de la passion qui les lie presque malgré eux… Le récit repose sur un jeu d’équilibre entre humanité et animalité. Et Olivier Gourmet incarne à merveille ces deux éléments. Il est tour à tour émouvant, fragile, autoritaire, bestial, délicat et éduqué, rustre et monstrueux. Face à lui Georgia Scalliet, qu’on découvre : c’est son premier film mais elle est sociétaire de la Comédie Française. La jeune femme déploie un jeu intense, qui désarçonne au départ et fascine au final. Elle incarne une jeune femme déjà libre pour l’époque : fille-mère, elle s’est émancipée par la force des choses et par le surgissement de la guerre. Une femme indépendante et instruite – elle nous fait penser à l’héroïne de La Leçon de piano de Jane Campion – tiraillée entre amour et désir. Les deux comédiens jouent cette partition pas si facile avec justesse et intensité, restituant toute la gamme complexe des émotions qui les traversent. Gilles Legrand met en scène avec talent cette histoire de désirs et de sexualité contrariée et dessine le portrait puissant de deux amputés, lui de sa jambe, elle de son grand amour, deux handicapés, luttant pied à pied pour se débarrasser de leurs fantômes, tâtonnant dans l’obscurité à la recherche de la lumière.