Cannes 2021 : compétition
Crash test
Révélée à la Semaine de la critique en 2011 avec son court métrage Junior qui a remporté le Petit rail d’or, puis en 2017 avec Grave, qui a décroché le prix de la critique internationale (Fipresci), le prix Louis Delluc du premier film, deux Magritte et six nominations aux César, Julia Ducournau appartient à cette école française de cinéastes de genre qui commence à engranger des succès à l’étranger et compte un réalisateur tel que Just Philippot, sélectionné dans la même section en 2020 avec La nuée. Titane a pour interprètes principaux Agathe Rousselle, fondatrice du fanzine Peach, rédactrice en chef du magazine web General Pop, mannequin, photographe et créatrice de mode avec sa marque de broderie Cheeky Boom, vue dans les courts métrages La voix de Kate Moss (2015), 5 vagues de l’avenir (2015), Looking for the Self (2017) et Loving (2021), ainsi que Vincent Lindon, prix d’interprétation à Cannes pour La loi du marché de Stéphane Brizé en 2015, et Garance Marillier, révélée dans Grave. Le tournage a été reporté d’avril à septembre 2020 en raison de la pandémie. Soutenu par la Fondation Gan et vendu à l’étranger par Wild Bunch International, Titane est produit par Jean-Christophe Raymond, Jean-Yves Roubin et Cassandre Warnauts pour Kazak Production, Frakas Productions et Arte France Cinéma. Diaphana le sort dès le 14 juillet.
Dans ce film en forme d’uppercut étourdissant, Julia Ducournau montre qu’on peut tout à fait follement aimer sa voiture, tant qu’on utilise un contraceptif.
Rien arrête plus Julia Ducournau, qui a enfin réveillé toute la troupe quand les festivaliers réunis à Cannes commençaient un peu à s'installer dans une compétition 2021 un peu sage. Son film précédent, Grave, étaient un des meilleurs films qu'on ait vu depuis des années et ce nouveau travail, Titane, fait encore plus nettement place au chaos le plus total. La saga des Fast & Furious a peut-être abandonné depuis longtemps toute prétention de réalisme, mais là, on parle d'un genre d'amour des voitures Vin Diesel lui-même n'approuverait probablement pas. Ou peut-être qu’il serait tout simplement jaloux.
Alexia (Agathe Rousselle) sait ce qu'elle veut : sentir sur sa peau le métal d'une voiture, et apparemment, c’est réciproque. C'est ce qu'elle désire ardemment, semble-t-il, depuis qu'un accident lui a laissé, enfant, une plaque de titane dans le crâne, quoique même avant, elle faisait déjà des bruits de vrombissement de la banquette arrière, irritant passablement son père glacial. À présent, elle a grandi et elle est danseuse à des salons de l’automobile, vénérant physiquement ces engins pour le régal des visiteurs. Une rencontre avec un fan plus tard, oups, elle se retrouve avec un cadavre dont elle doit se débarrasser, et à partir de là, en quelques minutes, elle passe d'un look de nana ultra sexy se trémoussant lascivement sur le capot d’une voiture à celui d'un garçon sans poitrine appelé Adrien – un garçon qui a disparu sans laisser de traces il y a très, très longtemps, mais son père pompier bien musclé (Vincent Lindon) est ravi d’accueillir qui que ce soit à la maison.
À partir de ce moment-là, Titane devient étonnamment mélancolique. C’est un revirement soudain, après une longue séquence où Alexia massacre toute une maisonnée comme si elle s'appelait Beatrix Kiddo – sauf qu'en l'espèce, difficile de dire qui lui a fait du tort, c'est même probablement le premier bain de sang de l'Histoire dont la cause soit un téton sensible. Ducournau continue s'intéresser au motif du corps, comme c'était le cas dans Grave, et celui d’Alexia change à toute vitesse. Et pourtant, il se pourrait bien qu'au bout du compte, tout cela ne soit que l’histoire de deux individus solitaires : une jeune femme clairement mal aimée quand elle était enfant et un type incapable de faire correctement le deuil du sien.
C’est assez tordant de voir comme cette réalisatrice s'empare d'éléments qui n'ont pas franchement bonne presse ces temps-ci (des gros plans sur des culs, des scènes dans les douches des filles) et les modèle à sa guise. Le délicieux Jumbo [+] de Zoé Wittock, sur une autre fille attirée par une séduisante machine, proposait une histoire beaucoup plus mignonne, mais quand Rousselle calme le jeu d'un coup et se bande les seins encore plus serré, et que la tristesse l’emporte sur la rage constante qui l'habitait, on est affecté – aussi parce qu'Alexia ne parle pas vraiment, encore moins de ses peurs et de ses désirs. En revanche, quand elle fait quelque chose, elle s’engage vraiment à fond – même s'il s'agit de se casser le nez toute seule et de faire ça bien, c'est-à-dire contre un lavabo. Le talent de Ducournau est indéniable : elle livre le bizarre et le choquant avec aise et fluidité, comme si c'était un menu à emporter. Et en chemin, elle arrive à prouver que la "Macarena" est loin d'être morte et enterrée. Aussi fort qu'on puisse vouloir l'oublier. Hay Macarena !