Depuis ses premiers films (Mektoub en 1998, Ali Zaoua, prince de la rue en 2000), on aime la façon dont Nabil Ayouche parle son pays, le Maroc, mais plus encore de sa ville natale, Casablanca. Il en décrit les contrastes et la beauté, n'éludant aucun sujet, et surtout pas ceux qui fâchent. Gamins des rue livrés à tous les trafics, revendications sociales, prostitution, jeunesse dorée en manque de repères, droits des femmes à disposer de leurs corps, des minorités à disposer de leur langue (le berbère), radicalisation religieuse : le cinéma de Nabil Ayouch est engagé, brut, mais le regard porté est toujours emprunt d'une sincère humanité, ne simplifiant jamais la complexités des problématiques abordées.
C'est ici un projet très personnel que concrétise le réalisateur et la forme qu'il a choisie, entre fiction et documentaire, signe un tour nouveau dans sa carrière. Fort de son engagement pour la culture par son implication dans la création et le suivi de projet dans des quartiers défavorisés de Casa, il raconte ici la vie d'un centre qui accueille les jeunes de Sidi Moumen pour des ateliers de danse et de musique.
Sidi Moumen : quartier très populaire de Casablanca dont étaient originaires les jeunes kamikazes qui semèrent la terreur le 16 mai 2003. Marqué au fer rouge depuis les attentats, le quartier est pourtant riche d'une jeunesse diverse et créative, qui ne demande qu'à s'exprimer, qu'à exister autrement que par le triste pedigree de l'environnement où elle a grandi.
Anas, ancien rappeur, a été embauché pour prendre en charge un groupe d'une quinzaine d'adolescents baignés de culture hip-hop qui viennent régulièrement au centre. Le jeune homme, assez discret, voire même un peu froid, leur raconte l'histoire de cette musique et sa résonance avec les mouvements de contestation. Anas connaît son sujet, Anas est charismatique et très vite, il captive son auditoire. Au fil des rencontres, il va peu à peu bousculer les certitudes et les croyances des jeunes, les poussant à exprimer leurs émotions, leurs rêves et leur colères à travers le rap. Tant pis si c'est maladroit, tant pis si le flow n'est pas parfait, l'important est ailleurs : s'exprimer, sortir ce qu'on a dans les tripes et le cœur et, à travers cela, oser exister.
Smail, Amina, Soufiane, Meriem ou Abderrahim, chacun avec son style va se prendre au jeu, se livrer, se raconter. Ils sont jeunes, ils ont la tchatche, l’énergie, la fougue et l'envie de changer leur quotidien et le regard que porte sur eux la société. Ils veulent écrire une histoire neuve pour leur quartier et leur pays : une histoire lumineuse où chacun aurait sa place, quel que soit son sexe, sa façon de s'habiller, avec ou sans la religion, une histoire où les destinées ne seraient pas écrites d'avance mais où tout reste à inventer.
Quand les textes des filles et des garçons, directement branchés sur la contestation sociale, se diffusent dans le quartier, la rumeur se répand comme une traînée de poudre et voilà que s'en mêlent les parents, les gardiens de la morale ou de la religion... Mais le printemps arabe l'a montré : rien ne peut arrêter une jeunesse en mouvement, surtout quand c'est la musique qui porte l'élan.
Mêlant musique, scènes de vie, morceaux de rap et quelques parenthèses façon comédie musicale, le film bouillonne d'une incroyable énergie, à l'image des protagonistes qui interprètent tous leurs propres rôles. « C’est un film musical mais également un film social et politique », explique Nabil Ayouch, « on montre la musique comme une arme puissante de revendication sociale, un moyen d’expression pour accompagner les grands changements ».