Ça pourrait être le décor d’un western, ou d’un grand film d’aventure. Le désert à perte de vue, une route interminable et, au milieu de rien, à défaut d’un saloon, une petite masure qui aurait pu être dessinée par un enfant tant elle est simple, juste un cube avec une fenêtre, comme déposé là au milieu du sable. Bien loin de Monument Valley, nous sommes au cœur du Sahara algérien, le long de la route nationale 1, inaugurée il y a des décennies par Houari Boumédiène, cette route « de l’unité » qui relie Alger à Tamanrasset près de 2000 km plus loin. La petite masure est la minuscule buvette que tient Malika, 74 ans, point d’ancrage pour les routiers et les chauffeurs de bus, pour les migrants subsahariens qui ont choisi l’exil par la route terrestre, pour les rares routards et quelques pèlerins. Malika, avec sa force de caractère, avec son franc parler inimitable, pourrait évoquer le personnage de Joan Crawford dans Johnny Guitar de Nicholas Ray, tenancière de saloon, indépendante et farouche dans un monde d’hommes.
Hassen Ferhani a découvert ce personnage extraordinaire grâce à l’écrivain Chawki Amari – auteur d’un livre intitulé Nationale 1 – qui fut son guide. Il a décidé de se poser plusieurs semaines aux côtés de Malika dans ses 20 m2, où trônent quelques chaises en plastique, et où les clients s’arrêtent le temps de boire un café ou d’avaler rapidement une omelette. Evitant les interviews trop faciles, le réalisateur dévoile peu à peu l’histoire mystérieuse de cette femme et les traits de son caractère bien trempé, à travers les brèves conversations qu’elle a avec ses clients. On apprend ainsi qu’elle a choisi de quitter la ville pour vivre seule dans le désert avec son chien et son chat, à 60 km du premier village, et qu’elle a connu il y a quelques années l’opprobre et la violence des hommes médisant sur son indépendance suspecte. Selon Hassen Ferhani, « Malika est pour les routiers comme une balise dans la mer, un repère mental, elle apaise les solitudes […] Malika est une une sainte « profane » dans son mausolée ». Une femme libre comme l’air qui montre son esprit critique quand elle démasque l’hypocrisie sexiste de pèlerins bigots, ou quand elle a la dent dure sur la trop grande masculinité à son goût d’une motarde polonaise.
Au-delà du portrait formidablement attachant qu’il fait de Malika, Hassen Ferhani décrit bien, à travers les voyageurs de passage, à travers tout ce que laisse deviner la minuscule fenêtre, ouverture sur l’immensité, toutes les problématiques de l’Algérie contemporaine : celle du défi des migrations, de la place de la femme, de la mondialisation qui appauvrit les citoyens d’un pays au socialisme affaibli. Comme le dit Hassen Ferhani, « 143, rue du Désert est un huis-clos ouvert sur l’Algérie et le monde ». Par son travail d’orfèvre d’observation, par la grâce de sa mise en scène d’une acuité et d’une sensibilité rares, ce cinéaste bourré de talent parvient avec son documentaire à nous captiver, à nous faire sourire, à nous émouvoir comme finalement peu de fictions savent le faire.