Les Habitants

Douce France

Sur l’affiche, une caravane, une de celles que nous avons tous croisées un jour sur les routes ou dans les villes, une petite caravane des années 1960, synonyme d’invitation au voyage et à l’aventure collective. Voilà le dernier opus de ce grand bonhomme qu’est Raymond Depardon, photographe mondialement reconnu et cinéaste majeur. Un film composé à quatre mains, ou plutôt à deux yeux, les siens, et deux oreilles, celles de Claudine Nougaret, avec qui il travaille depuis bientôt trente ans. L’idée a germé au cours du travail photographique « La France de Raymond Depardon » commandé par la Bibliothèque Nationale de France. Un travail qui l’a amené à sillonner la France dans son fourgon aménagé pour prendre plus de trois mille clichés. Au cours de cette aventure, il entendait ça et là des conservations de la rue alors qu’il installait son matériel. Il prenait un plaisir certain à les écouter et s’était dit qu’il fallait absolument filmer ces échanges, mais pas n’importe comment !
Il s’est donc mis en tête de proposer à des habitants d’une quinzaine de villes réparties sur toute la France de poursuivre leur conversation, entamée naturellement dans la rue, dans une petite caravane sans grand luxe mais confortable et lumineuse. Des grandes villes, des moyennes ainsi qu’une ville en banlieue parisienne, des villes qui ne seront jamais annoncées pour mieux capter notre attention et attiser notre curiosité. Il a filmé quatre-vingt-dix « couples », soit cent quatre-vingts personnes et a tiré vingt-quatre moments de ces échanges.
Le résultat est passionnant. Nous voilà tantôt fascinés de découvrir à quel point les habitants se livrent avec une spontanéité et une liberté confondantes, sans hésitation ou si peu, et dévoilent des tranches de vies sans retenue ou émettent des commentaires que la pudeur conduirait plus d’un à éviter en public. Tantôt amusés de les voir se saisir de cet instant pour régler des comptes ou évoquer les changements de physionomie de leur ville. Tantôt troublés de percevoir des parcours de vie accidentés affrontés courageusement, le plus souvent par des femmes. Émus de découvrir la bienveillance de parents aimants s’appliquant à rassurer et encourager leurs enfants que l’âge appellera bientôt à affronter une vie d’adulte bien incertaine à leurs yeux. Stupéfaits d’entendre les propos machistes, sexistes et dégradants de jeunes hommes ou les discours xénophobes proférés par deux habitantes d’une ville dont le cosmopolitisme tangible leur semble, c’est peu de le dire, inopportun. Touchés enfin de voir l’amour de jeunes couples bien décidés à s’engager dans la vie commune, même si les désaccords futurs sont d’ores et déjà perceptibles…
Raymond Depardon et Claudine Nougaret nous livrent, à l’aide de ce dispositif modeste et génial, une simple caravane, un instantané d’une France éloignée des représentations simplistes proposées par les médias, un travail de déconstruction de clichés qui nous donne à voir toute la richesse et la complexité des rapports humains. Et si parfois les récits sont intimes et bouleversants, c’est bien notre empathie qui est mise à contribution et non une part de voyeurisme qui se voit satisfaite.
Entre chaque ville, la caravane parcourt les routes accompagnée par les notes d’une musique composée par Alexandre Desplat. L’émotion nous gagne parfois, la promesse d’une nouvelle rencontre nous anime, bienheureux que nous sommes d’accomplir ce voyage avec nos contemporains.