Paterson

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Paterson vit à Paterson, New Jersey, ville des poètes – de William Carlos Williams à Allan Ginsberg – aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

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CANNES 2016 - COMPÉTITION

On the road again

Caméra d’or à Cannes en 1984 pour Stranger Than Paradise , Palme d’or du court métrage pour Coffee and Cigarettes en 1993 et grand prix du jury en 2005 pour Broken Flowers, Jim Jarmusch réunit ici Adam Driver (Kylo Rendans dans Star Wars : le réveil de la force ),dans le rôle d’un chauffeur de bus épris de poésie, la comédienne iranienne Golshifteh Farahani (Les malheurs de Sophie) et Kara Hayward ( Moonrise Kingdom , 2012).“Mon premier traitement écrit de Paterson date en fait d’il y a plus de 20 ans, explique Jarmusch. Il a fallu longtemps pour qu’il devienne un scénario et encore plus pour qu’il soit produit. En définitive, nous avons tourné pendant 30 jours à Paterson, dans le New Jersey, dans les Yonkers, État de New York, et dans le Queens, à New York. De la recherche du financement à la fin de la postproduction, l’ensemble du processus a nécessité environ un an. Tous mes films ont été produits directement par ma société, voire plusieurs compagnies, donc j’interviens toujours essentiellement en tant que producteur. Mais ce sont ceux qui sont crédités en tant que producteurs qui effectuent le travail véritable, celui qui est éprouvant, en assumant cette fonction au cours du tournage proprement dit. Ma force est d’être à la fois auteur et réalisateur et, entant que tel, je m’efforce de sauvegarder ma liberté de création et celle de mes collaborateurs contre toutes les menaces, d’où qu’elles proviennent. Par souci de me protéger, je demeure relativement indépendant de ce qu’on appelle ‘l’industrie’.” Quant à ses projets, le réalisateur, qui présentera également le documentaire Gimme Danger en Séance de minuit le 19 mai, refuse de les évoquer en prétextant que “c’est une façon de me protéger de ma propre confusion”.

Quelque chose de Tennessee

La bande son a beau être d’une sobriété surprenante pour un film de Jim Jarmusch, Paterson est un film infiniment musical, peut-être un des plus musicaux du cinéaste New-Yorkais. Une partition délicate et drôle composée sur le fil d’une semaine ordinaire dans la vie paisible d’un chauffeur de bus, amoureux en couple et poète à ses heures. Sept jours découpés avec une précision métronomique dans la routine d’une ville moyenne du New Jersey, au cours desquels Jim Jarmusch nous initie à la sublimation du quotidien par la richesse des relations coutumières, par l’attention aux détails cachés sous les habitudes, par la poésie comme art de vivre et saisie dans tout ce qui nous entoure. Ces sept jours sont les sept mesures d’un grand cinéaste idéaliste qui recrée un monde lavé de sa noirceur par la bienveillance et l’énergie créatrice de tout un chacun. Avec Paterson, Jarmusch réussit un splendide film en mode mineur, parfaitement anti-dramatique puisqu’il ne s’y passe (presque) rien d’extraordinaire mais qui, par l’épure proche d’un haïku, parvient à toucher à l’essentiel.
Paterson, c’est le nom de famille du personnage principal qui se lève tous les matins à 6h15 pour avaler son bol de céréales et rejoindre à pied le dépôt de bus duquel il part faire sa tournée. Curiosité des choses, Paterson c’est aussi le nom de la ville du New Jersey où Paterson fait sa tournée pour transporter les habitants qu’il écoute souvent bavarder d’une oreille indiscrète. Paterson enfin, c’est le titre d’un recueil de poèmes que Paterson (le chauffeur) affectionne particulièrement, écrit par William Carlos Williams (1883-1963) sur Paterson (la ville) dans laquelle il habitait naguère lui aussi. Jarmusch a toujours eu un goût pour ces bizarreries : le film n'a pas encore commencé qu'il repose déjà sur un enchevêtrement de sens à explorer. Sauf que contrairement à la plupart des films du cinéaste, Paterson reste sur place, circonscrit à une localité et à quelques lieux récurrents. Et pour cause, notre chauffeur de bus est un type à la vie bien rodée. Il partage avec sa petite amie Laura et leur bouledogue Marvin une harmonie domestique très ritualisée. Laura est aussi excentrique et naïve que Paterson est taiseux et contemplatif. Tous les soirs, il découvre avec circonspection la nouvelle trouvaille créative de sa bien-aimée, sous le regard inébranlable de Marvin, prolongement flegmatique et comique du couple. Tous les menus épisodes de cette vie sont pour Paterson une grande source d'inspiration. Il les consigne dans un petit carnet qu'il transporte partout en une prose ciselée et concrète : évocation des petits bonheurs familiers, de son amour pour Laura, de bribes de conversations glanées au cours de la journée ou de pensées vagabondes surgies au cours de ses trajets. Une poésie d'autant plus touchante qu'elle est modeste et simple (Paterson n'entend pas la publier, contrairement à Laura), témoignage d'un rapport au monde sain et complet.
En attendant que le week-end déjoue subtilement la routine, la répétition stricte du schéma journalier de Paterson est ponctuée de ce que Jim Jarmusch fait le mieux et qui donne au film tout son charme : rencontres aussi improbables que savoureuses, micro-événements comico-burlesques et divagations oniriques intériorisées. En un instant, la mise en scène parvient à transcender l’ordinaire en dénichant dans le commun du réel les manifestations poétiques les plus inattendues, parfois aux frontières du fantastique. Jim Jarmusch joue avec les apparences, multipliant les rimes visuelles et détournant avec amusement les règles consacrées (Paterson attachant Marvin tous les soirs devant son bar préféré comme un cheval devant un saloon). Ce n'est pas pour rien que Jarmusch place son film sous la référence à William Carlos Williams, ce poète américain qui rompit avec la tradition littéraire en utilisant un vocabulaire populaire, débarrassé de toute afféterie, dans le but d'évoquer le monde au plus proche de ce qu'il est. Dans sa foulée, Jim Jarmusch s'en tient à une vision prosaïque du monde et des affects, prouvant ainsi que le cinéma n’a nul besoin d’emphase pour être exaltant. Tant que les sentiments sont purs, ils suffisent à être bouleversants.