« Ma famille c’est un peu comme les Ewing et moi je suis le puits de pétrole »
Teddy Lussi-Modeste porte bien son patronyme : réalisateur brillant mais discret, il a réalisé il y a déjà six ansJimmy Rivière, très joli portrait d’un boxer gitan s’inspirant de sa spécificité et de sa culture assez peu présente sur les bancs des écoles de cinéma, puisque Teddy est issu d’une famille de gens du voyage. Il avait espéré, à la sortie de son film sensible et juste évoquant sa communauté, avoir le soutien de ses proches et amis. Il en fut tout autrement : rancœurs, jalousie, visions fantasmatiques autour de la richesse supposée des gens de cinéma, Teddy Lussi-Modeste a tiré de cette expérience cruelle le sujet de son film suivant, s’inspirant également des nombreuses mésaventures de comédiens, humoristes, sportifs de haut niveau issus des quartiers populaires, qui ont vécu du fait de leur réussite des réactions inattendues de leur entourage au point pour certains de se retrouver à la rubrique faits divers comme ce fut le cas récemment pour Karim Benzema, victime des agissements mafieux de certains de ses proches.
On va suivre Brahim, jeune comédien de stand-up en pleine ascension. Dès la première scène on est confronté à l’envers du décor de son succès. Brahim discute avec son grand frère et manager Mourad dans leur voiture, garée dans une rue parisienne, quand il est reconnu par des fans. Les garçons enthousiastes lui demandent des selfies, échangent quelques conversations jusqu’à ce qu’ils lui demandent de rejouer un sketch devant leur téléphone. Brahim tente de leur expliquer qu’il ne peut pas faire ça à la demande, que ça ne s’improvise pas dans la rue, le ton monte, les insultes et les accusations de trahir ses origines pleuvent et ça tourne à l’altercation physique avec Mourad. Le climat est planté. Brahim est à un moment charnière de sa carrière, il enchaîne les succès, et il vient de rencontrer l’amour avec Linda, une brillante metteur en scène, mais qui est mal acceptée par sa famille. Brahim commence à ressentir de plus en plus le poids de son frère, qui gère toute sa vie, et en profite pour faire ses petites affaires plus ou moins légales sans lui laisser jamais aucune intimité ou part de libre arbitre, ce à quoi s’ajoute la pression familiale et des amis… Et c’est à ce moment-là que se manifeste un prestigieux agent prêt à s’occuper de Brahim à la seule condition de mettre Mourad sur la touche.
Le Prix du succès aborde de manière intelligente, parfois cruelle mais en évitant toujours les clichés, la complexité des choses pour ceux qui réussissent tout en étant issus des classes populaires. Souvent snobés par l’establishment et les classes dominantes et devant faire leurs preuves deux fois plus que les autres, ils subissent une double punition, sommés de répondre aux rêves souvent inaccessibles de leurs proches, quand la tradition très ancrée de la solidarité familiale joue jusqu’à l’absurde. Comment conserver l’amour de sa famille et de ses amis tout en parvenant à voler de ses propres ailes pour construire sa voie en toute liberté ? Pour incarner ce conflit, deux splendides acteurs de deux générations différentes, Tahar Rahim et Roschdy Zem, qui incarnent Brahim et Mourad dans toute leur complexité. Loin de faire de Mourad un agent destructeur pour son frère, Teddy Lussi-Modeste dresse magnifiquement le portrait d’un homme brisé par l’impasse dans laquelle il s’est engouffré, un homme à qui Roschdy Zem, toujours aussi impeccable, donne toute son épaisseur.