CANNES 2017: COMPÉTITION
Quelque part en Europe
Le cinéaste Kornél Mundruczó a présenté à cannes dès 2003 son court métrage A 78-as szent Johannája, et s’y est fait remarquer avec Johanna (Un certain regard 2005). En compétition avec Delta (prix Fipresci, 2008), puis deux ans plus tard avec Tender Son-The Frankenstein Project, il obtient le prix Un certain regard en 2014 pour White Dog.
La lune de Jupiter traite, sur un mode fantastique, du problème des migrants dans une Hongrie qui s’est distinguée de ses voisins européens en les refoulant aux frontières. Selon Mundruczó, "la première ébauche du film a été conçue par Kata Wéber, avant White Dog, et comme un film en anglais situé dans l’avenir. J’ai pris conscience plus tard du problème des réfugiés et réalisé que le cinéma était le médium idéal pour aborder cette histoire. Le tournage était tendu, en raison des scènes de foule et des décors impressionnants. Notre problème crucial consistait à veiller à la sauvegarde de l’essence même du film. L’authenticité du contexte y est en effet presque plus importante que l’intrigue. Heureusement, ma productrice Viktória Petrányi, Proton Cinema et The Match Factory ont créé des conditions qui nous ont permis de travailler dans une ambiance de liberté et de créativité."
Le réalisateur reste cependant lucide quand il affirme "Je me considère toujours comme une planète à part. Pourtant, la tradition cinématographique hongroise existe manifestement en moi, selon laquelle on ne manipule pas la réalité, on essaie plutôt de recréer celle qui nous entoure. J’appartiens à la génération zéro en ce sens que je n’ai aucune expérience concrète du communisme et que je suis confronté à une Europe de l’Est en proie à une folle accélération et en voie de disparition. C’est ce que je cherche à montrer."
On avait beaucoup aimé le film précédent de ce réalisateur hongrois aussi singulier que talentueux : White God, l'histoire de ce chient affectueux transformé en chef de meute d'une violence féroce après avoir été séparé de sa maîtresse violoniste qui l'aimait, se retournant contre la société des hommes après avoir vécu le pire dans un Budapest sombre et chargé de haine… Si vous l'avez vu vous n'avez pas oublié cet instant de grâce, quasi mystique, final miraculeux où tout semble possible quand la meute immense des chiens enragés s'apaise et se couche devant une petite fille qui joue du violon.
Grand Prix de L'Etrange festival, La lune de Jupiter, tout comme White God, gravite entre réalisme cru et surnaturel : les humains qu'on y croise sont souvent de sombres crapules, mais les circonstances peuvent tout changer et d'un contexte désespérant surgit parfois une petite lumière, un espoir aussi ténu que celui de trouver la vie sous la glace lisse de la lune Europe, un des plus gros satellites de Jupiter, rêve lointain, mais pas si fou que ça…
Le film commence par une nuit sombre, dans un silence de mort, quelques dizaines de migrants venus de Serbie dans une embarcation de fortune tentent de traverser le fleuve pour rejoindre la Hongrie. Traqués par la police des frontières, ceux qui échappent à la noyade filent dans les bois. Des cris, des coups de feu : les flics, excités comme à la chasse, traquent du migrant, tirent sur les fuyards. En Hongrie tous les coups sont permis. L'un d'eux vise en rafale un jeune homme à quelques pas de lui… mais quand il s'approche le corps a disparu. Aryan, c'est la victime, vient de se découvrir le pouvoir étrange de léviter au dessus des arbres, de planer sans souffrance, survivant malgré ses blessures. Le policier n'aura de cesse de parvenir à savoir, à comprendre comment il est possible que sa cible se soit volatilisée.
Stern est un affreux. Jadis chirurgien de renom, il est tombé au plus bas après avoir provoqué la mort d'un patient en l'opérant en état d'ébriété : et pour cela il doit payer. Alors Stern travaille autour du camp de migrants et ramasse tout le fric qu'il peut en aidant l'évasion de ceux qui peuvent le payer. Ce jour là, c'est Aryan qui l'attend dans son cabinet et quand il se retourne pour l'examiner il reste sidéré par la découverte du don étrange de ce jeune homme qui se dit fils de charpentier… Cynique jusqu'au bout, Stern est bien décidé à garder le secret, montant une escroquerie pour son seul profit sur la base de ce miracle qui peut se reproduire à volonté et s'accompagne de pouvoirs étranges. De quoi alerter le policier qui les suit à la trace.
Mais, peu à peu, le cynisme qui servait d'armure à Stern commence à se fissurer devant cet ange qui plane, veut juste retrouver son père et n'imagine même pas la noirceur des intentions de son sauveur. Comme si, sous les apparences de cet ivrogne qui semble se délecter à sombrer toujours plus profond dans l'ignominie, il ne voyait que la petite étincelle d'humanité qui peut tout faire changer.
C'est un pamphlet social, c'est une image de la Hongrie qui n'a rien à envier à celle que nous renvoyait White God, mais comme dans son film précédent, Kornél Mundruczó s'interroge sur la possibilité d'une transcendance : contre la bêtise, l'aveuglement, l'intolérance, la cruauté, la violence… reste-t-il encore une petite place pour l'espoir ?