Sombre rivière… Le film nous plonge dans les tourbillons d'une vie qui malmène, dans le tumulte d'une histoire qui prend racine dans une terre passionnément aimée, dans la douleur, comme dans la jouissance. Rien n'est tiède ici et certainement pas les rapports entre Alice et Joe dont le père vient de mourir.
Après bien des années d'errance, Alice revient dans la ferme de son enfance, trop tard pour un dernier adieu à celui qui a espéré son retour jusqu'à son dernier souffle. Elle retrouve la bâtisse sombre, inchangée, pleine des souvenirs de tout ce qu'elle a fui. Son frère, dont elle fut si profondément complice est là. Il a toujours été là et lui en veut de l'avoir laissé dans un tête à tête difficile avec un père admiré autant que haï, se dépatouillant seul d'une ferme dont il refuse désormais le partage. Les liens sont forts, mais cet amour fraternel qui les liait a maintenant une drôle de gueule, tordue par une souffrance jamais avouée, une culpabilité que le temps n'apaise pas. Les retrouvailles sont lourdes de violence contenue, de non dits qui polluent les silences. Dans cet univers de sensations fortes, les mots ne sont pas abondants, les deux sont taiseux, mais chaque geste, chaque regard vibre de ce qu'ils ne savent pas dire.
Alice a bourlingué, mais son travail a toujours eu un lien avec la terre, travaillant sans compter ses efforts à tondre les moutons, à remuer la boue, nettoyer les litières des bêtes… En revenant, elle entend bien faire sa part pour redresser la ferme en déclin, nourrie d'une capacité d'adaptation qui bouscule son frère attaché à ses habitudes, enfermé trop longtemps dans sa solitude. Il y a urgence, la ferme va mal et il faut remettre en question des méthodes archaïques… ou disparaître, comme tant d'éleveurs indépendants dont les terres ont été dévorées par les grandes compagnies, privatisées sous la gouvernance Thatcher, pour le plus grand profit de leurs actionnaires.
S'entendre, faire face ensemble… Alice est pragmatique, habitée par une rage vitale qui la garde debout, prête à tous les affrontements tandis que l'amertume de Joe semble l'aveugler, l'entraînant dans un processus obstiné d'autodestruction. Même disparu, le père reste définitivement présent, il est le socle sur lequel s'est construite douloureusement leur vie et il faudra bien qu'ils aillent au bout de leur colère pour parvenir à une forme d'apaisement. Cette terre qu'il leur laisse les enracine, donne un sens à leur histoire, mais l'héritage est lourd.
Ce n'est pas un film tranquille. Les images magnifiques d'une campagne verdoyante, abondamment irriguée de cours d'eau, donnent à sentir combien la réalisatrice est attachée à son Yorkshire natal où brume et pluie rendent précieux le moindre rayon de soleil. Le roman de Rose Tremain Les Silences a été le point de départ du film qui s'en inspire librement, il se passait en France, dans les Cévennes. Mais comme dans Le Géant égoïste, son précédent film qu'on avait beaucoup aimé, ce qui intéresse Clio Barnard, ce sont avant tout les relations humaines, la confrontation de tempéraments forts, d'individus pris dans des situations dures qui les placent dans une position marginale qu'ils affrontent avec une énergie quasi désespérée… jamais vraiment défaits par une réalité à laquelle ils refusent de se soumettre.
À noter la chanson de PJ Harvey qui ouvre le film : An acre of land. Adaptation pour le film d'une chanson folk traditionnelle, charnelle et nostalgique, elle s'impose comme une évidence, superbe.