SEMAINE DE LA CRITIQUE 2018
Moi j’embrasse
Pour son premier long métrage de fiction, Camille Vidal-Naquet est parti “d’un personnage solitaire, en recherche d’affection, qui a en lui une force d’aimer inébranlable, inconditionnelle. Un garçon saisissant des moments de tendresse dans les endroits les plus inattendus. Dès le départ, j’avais en tête l’image d’un garçon du trottoir qui dit : “Moi j’embrasse”. Après avoir achevé une première version du scénario, Camille Vidal-Naquet part à la rencontre des garçons qui se prostituent dans la rue par le biais d’une association. “Au fil des nuits dans le bois de Boulogne, j’ai développé des liens très 0forts et, finalement, j’ai passé trois ans avec eux au cours desquels mes rencontres alimentaient l’écriture.” Ayant travaillé en tant qu’assistant-réalisateur sur un projet pour Emmanuel Giraud (Les Films de la Croisade), le cinéaste lui fait lire le projet qu’il accepte de développer. “Chaque version a été lue par Emmanuel, qui m’a énormément aidé à construire la dramaturgie. Le plus complexe était de trouver la forme dramatique la plus juste : je ne voulais pas romancer, mais je ne voulais pas non plus une narration trop abrupte, il fallait trouver une porte d’entrée, un fil conducteur, pour le spectateur.” Le financement se fera par le biais de l’Avance sur recettes du CNC, le soutien de la région Grand Est et de l’Eurométropole de Strasbourg. Côté distribution, Camille Vidal-Naquet va s’entourer de comédiens “dont c’était la première fois”, effectuant avec eux des répétitions pendant plusieurs semaines en amont du tournage. “Je ne parle pas de psychologie aux comédiens, je leur explique juste l’intention, l’énergie de la scène. De manière générale, je fais beaucoup de prises. Par ailleurs, je tiens à ce qu’ils respectent les dialogues de manière assez stricte, je leur indique même la manière de prononcer certains mots.”
Léo embrasse, Sauvage embrase. Le premier long-métrage de Camille Vidal-Naquet a l’incandescence et la fulgurance d’une cigarette. Son héros est solaire et il brûle sa vie. Contrairement au jeune Pierre (Manuel Blanc) de J’embrasse pas (1991), d’André Téchiné, qui se prostitue pour survivre, Léo (Félix Maritaud, extraordinaire) cherche l’amour et la douceur au fil de ses errances et des passes. Jamais endurci, même s’il prend des coups et se dégrade physiquement sous nos yeux, Léo est encore capable de faire des rencontres et de donner. Il peut prendre dans ses bras, toute une nuit, un vieil homme qui se sent seul, devant la photo de sa femme qui n’est plus de ce monde. « Moi, j’embrasse », insiste Léo devant ses « copains » qui font le bois avec lui. Mais il ne donne pas son prénom aux hommes qui le paient : son identité est peut-être son bien le plus précieux. « Appelle-moi comme tu veux », dit-il à un client. Pendant un temps, le réalisateur Camille Vidal-Naquet voulait faire de cette réplique le titre du film.
Dès la première scène, chez ce médecin qui ausculte bizarrement le corps tatoué et un peu abîmé du jeune homme, on sent que le film va surprendre. Sauvage est une œuvre longuement mûrie et documentée. Sur le même sujet, outre Téchiné, Patrice Chéreau avait signé L’Homme blessé (1983), et plus récemment Robin Campillo a tourné Eastern boys (2014). Camille Vidal-Naquet, 45 ans, a, lui, réalisé quelques courts-métrages –Mauvaise tête (2013), Wardé (2016) –, avant de se lancer dans ce film pour lequel il est entré en contact avec des prostitués du bois de Boulogne par l’intermédiaire d’une association. Il pensait y passer quelques nuits, il y retournera trois ans, profondément touché par ce milieu de la prostitution masculine.
De cette immersion, le réalisateur a tissé une fiction que la beauté brute de Félix Maritaud (découvert dans 120 battements par minute, de Robin Campillo) aurait pu faire basculer dans une esthétique de vidéoclip. Le film ne tombe jamais dans ce travers, justement parce que le vécu est au centre du scénario. Léo remplit sa vie de la misère sexuelle des uns, du fantasme de domination des autres, s’embarque dans des plans hasardeux et destructeurs… Il passe du fauteuil roulant d’un homme qui n’a plus d’érection aux bras d’un couple d’homos féroces, en quête de chair fraîche et soumise. Des moments de descente, ou de « renaissance », sans longueur ni pesanteur.
En suivant Léo caméra sur l’épaule, le réalisateur nous entraîne dans un monde à part, aux variations infinies : Léo est homosexuel, d’autres garçons sont hétéros et cherchent uniquement à gagner de l’argent. Certains veulent « en sortir ». Léo, dont le passé nous est inconnu, n’attend rien de spécial. Il est amoureux d’un autre jeune prostitué, Ahd (Eric Bernard), qui, lui, va se « ranger » auprès d’un vieux. Sauvage est la quête éperdue d’un homme qui passe de bras en bras pour atteindre l’Amour. Avec un grand A. Quel qu’en soit le prix.