3.5 | 4 | 4.5 |
L'après-midi du 7 Mars 1965, à Selma, Alabama (voilà l'explication du titre du film), des policiers attaquent à coups de matraques, de clubs de golf et de gaz lacrymogène des manifestants pour les droits civiques, qui veulent marcher jusqu'à Montgomery pour réclamer le droit de vote pour les Noirs. Car si ce droit leur est en principe accordé, d'innombrables embûches rendent de facto impossible leur inscription sur les listes électorales. Parmi les marcheurs, Martin Luther King, fraîchement auréolé de son Prix Nobel de la Paix, veut essayer de faire pacifiquement bouger les lignes. Mais ce Dimanche sera baptisé du triste nom de « Bloody Sunday » (un de plus…). La bataille est loin d'être gagnée… Selma va nous livrer le fil des événements qui mèneront à l'introduction du « Voting Rights Act » par un président Lyndon B. Johnson… fortement poussé aux fesses par ces impressionnants mouvements pour les droits civiques. Ava DuVernay a extirpé de souvenirs lissés par la légende un matériau brut, pour toucher au plus près la réalité politique et sociale américaine du milieu des années soixante : courage et lâcheté s'affrontent, l'idéalisme s'appuie sur d'intenses manœuvres politiques, les coalitions se forment, les rapports de force s'installent. En nous montrant ainsi les coulisses et l'intensité des jeux politiques, au sens noble – encore que parfois moins – du terme, Selma s'inscrit dans la droite ligne du Lincoln de Spielberg : il s'agit de rendre l'Histoire vivante, aussi incertaine, tragique et passionnante que si elle se déroulait au présent. La réalisatrice a choisi de s'en tenir au cadre restreint de quelques mois de l'année 1965 mais elle ne se prive ce faisant ni d'ambition ni d'ampleur, bien au contraire. Tendu et captivant, Selma est truffé de personnages fascinants et se consacre au portrait de tout un mouvement plutôt qu'à l'hagiographie d'un homme providentiel. Martin Luther King est bien sûr très présent à l'écran, à travers son parcours politique autant que dans sa vie privée (il est sous la surveillance constante du FBI et Hoover veut politiquement sa peau). Mais le film s'intéresse moins à réaffirmer sa grandeur qu'à comprendre son origine et ses limites, à restaurer sa dimension humaine. David Oyelowo interprète avec passion le pasteur, transmet parfaitement sa ténacité et sa dignité, mais aussi ses traits d'humour, ses doutes et ses faiblesses. Le récit accorde autant de place aux hommes de pouvoir et à leurs stratégies qu'aux femmes et aux hommes de terrain prêts à défiler et à défiler encore, à Selma ou ailleurs. Car il s'agit bien de montrer que le Docteur King travaille au service du mouvement et non l'inverse, entouré de fortes figures qui toutes jouent un rôle capital dans ce combat pour la démocratie : son épouse Coretta Scott King et tous ceux qui portent des noms moins connus, les Amelia Boynton, Bayard Rustin, Fred Gray et bien d'autres… Un beau film tonifiant et émouvant, qui réinvestit le passé sans oublier jamais le présent : aux Etats-Unis comme ailleurs, il est loin d'être égalitaire.