Il ne faut pas toujours se fier aux apparences… Prenez Garçon chiffon, sur le papier, ça pourrait n’être qu’une énième comédie branchée, tendance rive gauche, comme le cinéma français les aime (et nous aussi parfois d’ailleurs, nul n’est parfait) : milieu théâtreux, crises existentielles, trahisons et jalousie entre salon et chambre à coucher… Oui de tout cela, il sera bien entendu question… mais au-delà des postures, derrière les frisette d’un ruban de bolduc doré. Car sous ses allures légères, ce Garçon chiffon cache un vrai cœur d’artichaut, un cœur tendre et généreux, bien moins arrogant et bien plus touchant qu’il n’y paraît. Certes dans ce film, il y a Paris, mais il y a aussi (et surtout) la province, et pas n’importe laquelle : le Limousin. Le Limousin : ses célèbres bovidés et ses presque aussi célèbres présidents, région dont sont natifs les fameux Raymond Poulidor, Eric Rohmer, Pascal Sevran et Jean-Jacques Rue. Le Limousin : là où tout a commencé aussi pour Nicolas Maury et là, immanquablement, où le personnage principal de son premier film revient. Comme un retour aux sources, au bercail, au berceau, aux origines, au commencement. Et c’est bien connu, et le sujet principal d’une autre comédie singulière de cette gazette (L’Origine du monde), au commencement était la mère.
Mais pour comprendre le pourquoi du comment, il nous faut revenir en arrière, en cette première scène presque burlesque où un jeune homme tiré à quatre épingles cherche avec une certaine angoisse dans les rues de Paris l’adresse d’un centre de… jaloux anonymes ! Jaloux, Jérémy l’est, et pas qu’un peu ! Chez lui, c’est même carrément pathologique : il en est convaincu, son homme, son amour, sa passion, le calme et ténébreux Albert, lui cache des choses. Cette jalousie lui empoisonne la vie mais il n’y peut rien, c’est plus fort que lui et quand la mécanique se met en place, il se transforme en redoutable scénariste. En bon amoureux paranoïaque, il n’a, par définition, jamais tort, mais pris au piège de ses propres élaborations psychiques, il souffre le martyre : aimer de la sorte, c’est épuisant pour soi et les autres. À cela s’ajoute une carrière de comédien qui peine à décoller, des rôles « essentiels » qui lui filent sous le nez et cette sale impression qu’il n’est jamais au bon endroit, à la bonne époque, au bon moment où il faut, bref : Jérémy va mal.
Dans de telles situations, certains se tournent vers la psychanalyse, les drogues, l’alcool ou la méditation… Jérémy va se tourner vers le Limousin. Dans le gîte tenu par sa mère (Nathalie Baye, touchante, attachante et délicieusement drôle), il retrouvera peut-être la sérénité perdue, l’apaisement de ses angoisses existentielles et le baume qui soulagera les griffures qu’il a lui-même infligées à son pauvre petit cœur.
Vous avez peut-être déjà croisé Nicolas Maury dans la série Dix pour cent ou au cinéma(Perdrix) et apprécié son jeu singulier, à la fois drôle et cinglant. Il signe ici son premier film et c’est une vraie réussite. Campant lui-même avec beaucoup de culot ce jeune homme à fleur de peau qui a quitté sa province natale pour vivre en cinémascope à Paris, il nous offre une œuvre soignée et très touchante sur la difficulté à cultiver ses rêves. Comment la soif de l’amour absolu, pur et entier s’abîme sur les rives de la jalousie. Comment il est compliqué de vivre de son art et de se faire un nom dans un milieu qui ne fait pas de cadeaux. Mais plus que tout cela, c’est une déclaration d’amour au lien maternel. Dans la maison de son enfance et sous le regard bienveillant de sa mère qui l’aime comme au premier jour, sans conditions ni jugement, Jérémy retrouvera la force de traverser la tourmente et rebondir pour mieux déployer ses ailes. Avec une fantaisie folle et une écriture soyeuse comme du taffetas, Garçon chiffon convie aussi bien Anne-Sylvestre que Vanessa Paradis, et même Jacques Demy sera de la partie ! Vous allez adorer.