Un héros

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Rahim est en prison à cause d'une dette qu'il n'a pas pu rembourser. Lors d'une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d'une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…

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Festival de Cannes 2021 : compétition

Le poids de la dette

Ours d’or à Berlin pour La séparation, en 2011, et Oscar du meilleur film étranger pour Le client, en 2017, le réalisateur Asghar Farhadi a démontré l’universalité de ses thèmes de prédilection dans Le passé, un film français qui a valu le prix d’interprétation féminine à Bérénice Bejo à Cannes en 2013, puis dans Everybody Knows, dont l’action se déroule en Espagne et qui a été présenté en ouverture en compétition en 2018.Un héros entérine la longue collaboration du cinéaste avec Memento Films, qui l’a distribué avant de le produire. Son personnage principal est un homme envoyé en prison pour une dette non acquittée, qui va profiter d’une permission de deux jours pour tenter de convaincre son créancier de retirer sa plainte. Mais rien ne va se dérouler comme il escomptait… Un rôle interprété par le comédien Amir Jadidi, lauréat du meilleur acteur au Festival de Fajr 2018 pour ses compositions dans La permission de Soheil Beiraghi et Tangeye Abu Ghorayb de Bahram Tavakoli. Le film est éclairé par Ali Ghazi et Arash Ramezani, et monté par Hayedeh Safiyari, déjà primée à quatre reprises à Fajr et dont c’est la sixième collaboration avec Farhadi depuis La fête du feu, en 2006. La sortie d’Un héros sera assurée par Memento Distribution le 22 décembre.

 

 

Loin de l’agitation de Téhéran, l’action prend racine à Chiraz, à deux pas de Persépolis, au plus près des sources de la culture persane. Le temps suspend son vol quelques instants, dans la beauté pure des paysages. Il ne manque que les odeurs de l’Iran… On les imagine dans ces étendues d’ocre, dans les vrombissements colorés de la ville, dans le sourire véritablement lumineux de Rahim, le héros de notre histoire – mais en est-il vraiment un ? On en douterait un peu en le voyant sortir de prison pour une permission de courte durée, radieux sous ses airs discrets qui semblent perpétuellement demander des excuses à la vie. Le voilà courant, volant presque, ivre de retrouver l’air libre, parcouru d’une joie enfantine pétillante, communicative. Sans même avoir d’indices sur la cause de sa longue incarcération, on imagine mal Rahim brigand violent, bandit de grand chemin ou agitateur extrémiste. Il nous faudra gravir en sa compagnie un vertigineux échafaudage, qui semble narguer les lois de l’apesanteur et toutes les normes de sécurité connues, avant de découvrir le fin et banal mot de l’histoire, ici, sur le monumental chantier de restauration de la tombe de Xerxès où son beau-frère l’accueille en le taquinant. Si Rahim croupit dans les geôles de la République Islamique d’Iran, c’est pour un vulgaire impayé, l’un de ceux que vous et moi pourrions bien un jour avoir sur le paletot. L’absurdité criante du système nous saute aux yeux, vicieux cercle kafkaïen, car une fois le débiteur enfermé il lui est fatalement impossible de travailler pour racheter ses dettes. À ce jeu-là nul ne saurait être gagnant, se dit-on. Plus encore qu’une Justice aveugle, ce sont les plaignants qui semblent l’être devenus, enivrés par l’omnipotence que leur octroie le régime en place, la prédominance de la loi du Talion. La vengeance a ses raisons que le bon sens ne saurait voir…
Rahim, qui entrevoit une brèche d’espoir, va une fois de plus, malgré l’échec de ses nombreuses tentatives précédentes, essayer de convaincre son inflexible créancier, Braham, qui s’avère être accessoirement son ex beau-frère. Ses quelques heures de liberté vont dès lors se transformer en course infernale contre la montre pour lui, sa sœur, le mari de cette dernière, sa délicieuse fiancée (cachée)… sous le regard hébété des plus jeunes, et en particulier de son fiston Siavah. Si son bégaiement en fait presque un petit personnage mutique, ses yeux en disent long sur sa colère rentrée, son amour absolu pour son paternel et son envie d’être à nouveau à ses côtés. Des victimes innocentes et silencieuses, il y en aura finalement peu dans ce récit savamment orchestré, qui nous attrape autant par les neurones que par les sentiments. On se rappellera qu’une des forces du cinéma d’Asghar Farhadi est de ne jamais sombrer dans un manichéisme ou un angélisme béats. Ici nul n’est intégralement gentil, pas plus qu’intégralement méchant, chacun à ses raisons, que l’on devinera parfois plus qu’on ne les comprendra. Comment jeter la pierre à ces personnages tiraillés, changeants, pétris de contradictions, d’indécisions, comme nous pouvons tous l’être ? Voilà qui les rend tout aussi détestables qu’attachants.
À partir d’un postulat minimaliste – le fait qu’en quelques instants on peut bâtir ou détruire une réputation sur un malentendu – le réalisateur tisse une fable contemporaine de très haute volée, captivante, qui nous piège dans ses ressorts tel un subtil thriller psychologique. En évitant toute forme de misérabilisme, il décortique les mécanismes d’un monde peuplé de manipulateurs manipulés et de manipulés manipulateurs, où même les institutions instrumentalisent de façon peu glorieuse la misère et les handicaps d’autrui. Un monde où les réseaux sociaux semblent être devenus une hydre sans tête, qui s’abreuve de rumeurs dévastatrices auxquelles plus personne ne peut tordre le cou. Un film magistral.