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Vous vous marrez encore des gags de Big Lebowski, le branleur hirsute amateur de bowling des Frères Coen (au fait ça tombe bien, le film ressort en avril) ? Vous aimez les années 70 psychédéliques, ses extravagances vestimentaires et stupéfiantes, sa musique ? Vous aimez les filles en mini-shorts ? Alors vous allez trouver jubilatoires les aventures improbables de Doc Sportello, détective californien franchement fainéant, arborant rouflaquettes, veste informe et chapeau écrasé…
Doc vit au bord du Pacifique, là où les surfers arrivent en combi VW et affrontent les vagues entre deux pétards. Doc s'adonnait à son activité préférée, rêvasser dans son canapé défoncé en sirotant un whisky, quand Shasta Fay Hepwoth, son ex, l'archétype de la femme fatale, vient lui demander de retrouver son amant du moment, un magnat de l'immobilier fantasque, qui a disparu et dont elle croit qu'il a été victime d'un complot ourdi par sa femme et le chéri d'icelle, un garde du corps culturiste. Une histoire sacrément alambiquée dans laquelle Doc n'aurait jamais dû accepter de plonger – s'il n'avait pas encore un faible pour la belle –, une histoire qui va l'entraîner dans un salon de massage asiatique peuplé d'entraîneuses lesbiennes, qui va l'amener à affronter la Fraternité Aryenne, une bande de Hell's Angels à croix gammée, ou encore un consortium mystérieux de trafiquants, la Golden Fang, et aussi un dentiste sous cocaïne, sosie d'Austin Powers et amateur de nymphettes… Et en plus il lui faudra se coltiner la pression permanente du lieutenant Christian « Bigfoot » Bjornssen, caricature à coupe en brosse de flic réac, ennemi autoproclamé des droits des prévenus surtout s'ils sont hippies comme Doc Sportello.
On disait inadaptable au cinéma le roman de Thomas Pynchon, écrivain de l'absurde et des dessous sombres mais tragicomiques de l'Amérique… De fait Paul Thomas Anderson n'a pas tenté de rendre limpide le récit, imbrogliesque voire totalement chaotique. Mais si on se perd dans une intrigue policière totalement déglinguée, on s'en fout, tant là n'es pas l'important. Paul Thomas Anderson prend un plaisir follement communicatif à décrire avec gourmandise ce début paradoxal des années 70, entre liberté sexuelle (il y a tout au long du film une galerie de bombes érotiques à faire frémir), consommation excessive de produits illicites, mais aussi effondrement de l'idéal hippie après les meurtres de Charles Manson, la mort d'une spectatrice au concert des Rolling Stones à Altamont et la paranoïa sécuritaire de l'ère Nixon. Tout y est, le décor, les fringues et la remarquable bande son, largement composée de titres de Neil Young.
Inherent Vice est en plus un incroyable festival d'acteurs : le décidément trop fort Joaquim Phoenix, hilarant dans le rôle de Doc Sportello, Benicio Del Toro parfait en avocat spécialisé dans l'histoire maritime, Josh Brolin à mourir de rire dans son costume de flic facho frustré toujours prêt à casser du hippie, sans oublier surtout la radieuse Reese Witherspoon, craquante dans le rôle de l'adjointe au procureur, maîtresse de Doc.
Les fâcheux diront sans doute que tout le monde en fait un peu trop, mais c'est justement ce trop qui donne au film sa dimension hors du commun, le place quelque part ailleurs et très haut, entre les Frères Coen, Tarantino et le Terry Gilliam de Las Vegas Parano. Il n' y a pas de mal à se faire plaisir. Love, drugs and rock'n roll, that's the real life.