Semaine de la critique – Cannes 2021
La mécanique du crime
Vincent Le Port a découvert le personnage de Bruno Reidal dans un livre sur les tueurs en série. “J’ai été fasciné par ce personnage complexe, fils de paysans, séminariste brillant, timide et introverti, qui commet un crime atroce sans que personne n’ait jamais rien décelé en lui d’anormal. Il y avait aussi ce paradoxe assez inexplicable, à savoir qu’il n’avait apparemment aucun remords, mais s’était pourtant livré de lui-même aux autorités. Je me suis ensuite plongé dans les mémoires écrites par Bruno en prison, et la découverte de ce texte a été un déclencheur.” Le scénario est construit à partir de ces mémoires, “qui apparaissent telles quelles dans le film sous la forme de nombreuses voix off, mais aussi à partir du rapport des médecins qui l’ont longuement interrogé en prison et ont aussi enquêté sur sa famille, ses proches, son année passée au séminaire… L’essentiel du travail d’écriture a été d’inventer les situations mettant en relief les émotions et les pensées de Bruno tout en donnant à voir l’époque où il avait vécu.” Souhaitant au départ trouver un amateur complet pour incarner son personnage, Vincent Le Port passe de longs mois à chercher la perle rare, sans succès. “Je parlais de ces déboires avec Jean-Luc Vincent, qui avait déjà accepter d’interpréter le professeur Lacassagne, et c’est lui qui m’a conseillé un jeune comédien qu’il avait vu au théâtre et qui l’avait ébloui. C’est comme ça que j’ai rencontré Dimitri Doré, qui n’avait encore jamais joué au cinéma. J’ai été tout de suite troublé par sa ressemblance avec le vrai Bruno, et surtout par sa voix si particulière, proche de celle que j’imaginais pour le personnage. Mais dans la vie, Dimitri est très différent de Bruno Reidal (et tant mieux pour lui !), et il m’a fallu plusieurs essais avant de me rendre à l’évidence qu’il était l’interprète parfait pour ce rôle.”
Moi, Bruno Reidal, ayant décapité un garçon de 12 ans dans le Cantal... Le postulat de départ de ce long-métrage – inspiré de faits réels – rappelle, à juste titre, celui de René Allio contant l’histoire de Pierre Rivière. Après ce meurtre atroce, le jeune Bruno Reidal se rend à la police. Pour tenter d'expliquer son acte, l'éminent professeur Lacassagne et ses confrères médecins lui demandent de relater sa vie, depuis son enfance jusqu'au jour du crime. Le film entrelace alors les entretiens en prison entre Bruno et Lacassagne avec la mise en images du récit de son existence...
Tourmenté dès son plus jeune âge par des envies meurtrières, avivées par le trouble de la découverte du plaisir charnel à l'adolescence, Bruno Reidal semble ne pas faire de distinction entre Eros et Thanatos. Cette lutte incessante contre ses pulsions ne l'empêchent pas d'être un élève brillant, quoique solitaire, et un croyant fidèle. Il nourrit cependant des sentiments de rivalité et de jalousie envers ses camarades Il brûle du désir d'humilier ceux qui lui semblent posséder une beauté qu'il n'aura jamais. En entrant au Séminaire, Bruno espère y trouver une forme d'apaisement...
Pour sa première réalisation, Vincent Le Port suit avec beaucoup de maîtrise une double trajectoire : pénétrer la psyché d’un tueur – thème récurrent au cinéma, également ici l'objectif du corps médical – et décrire avec une précision fine la ruralité au début du siècle dernier. Dense et extrêmement soigné, Bruno Reidal mêle brillamment l'horreur à la beauté et s’approche au plus près de la monstruosité humaine pour mieux la comprendre. En empathie avec son personnage assassin, il nous envoûte d’une grâce sublime.