Sacrée donzelle que Donzelli ! De film en film, elle brosse une œuvre atypique, à la tonalité joviale et faussement naïve. Que les sujets soient intimes ou graves, elle les distord avec une légèreté pleine de fraîcheur. Il y a quelque chose de profondément combatif et lumineux dans ce cinéma-là qui refuse de sombrer dans la morosité ou dans le drame, même dans les cas les plus extrêmes, comme dans le magnifique La Guerre est déclarée. Depuis son tout premier La Reine des pommes – disponible en Vidéo en Poche –, la cinéaste-comédienne nous entraîne dans son univers burlesque et mutin qui laisse la part belle à l’autodérision.
Cela ne vous a jamais frappé ? Il y a des noms que l’ont croirait prédestinés : l’opticien qui s’appelle Delœil, la gynécologue Robinet, le sacristain Lévèque. La première femme pilote de chasse se nomme Caroline Aigle, quant à Charles Pathé, avant de devenir producteur de films, il fut charcutier… Alors quel métier croyez-vous que l’on puisse exercer dans la vie quand on s’appelle Maud Crayon si ce n’est architecte ?
Maud (interprétée, évidemment, par la réalisatrice elle-même), fait partie de ces bonnes petites soldates, toujours prêtes, qui courent en tous sens. Existence schizo-frénétique, semblable à celles de tant de femmes écartelées par le désir de bien faire à tous les niveaux : professionnel, amoureux, maternel… Dans sa besace, un patron bidon, deux adolescents critiques, leur paternel, son ex, immature chronique (Thomas Scimeca parfait, avec ses airs de Gaston Lagaffe dégingandé et lymphatique)… Martial est par ailleurs le prototype incarné du vrai pot de colle qui déboule sans crier gare, à la moindre embûche affective. Maud essaie bien de protester, lui rappelant qu’ils sont séparés, mais elle ne résiste pas longtemps à ses airs de cocker battu. Notre croqueuse de croquis ne sait pas dire « non », c’est sans doute son pire problème.
C'est là que, par une pirouette du hasard qu’on taira ici, un événement tombé du ciel, comme par enchantement, va venir bouleverser le cours des choses. Voilà Maud Crayon, jusque-là tâcheron dans un cabinet d’architecture impersonnel, soudain en charge d’un des plus prestigieux projets de la Ville de Paris : l’aménagement du parvis de la prestigieuse cathédrale Notre Dame. C’est le contrat de sa vie, décroché sans même avoir concouru, au nez et à la barbe de tous les architectes – que des mecs ! – ayant pignon sur rue. Cette victoire, loin de simplifier les choses, va tout au contraire les compliquer. Maud va devoir composer derechef avec tout son petit monde, d’autant que son employeur aux dents longues devient jaloux comme un pou, et que Martial s’incruste comme jamais car il vient de se faire larguer. Sans compter que le destin remet dans les pattes de notre maîtresse d’œuvre débordée un ex-amour de jeunesse bien embarrassant.
C’en est trop ! Maud panique, prête à se mélanger les crayons, elle se sent défaillir… Heureusement, il y a Didier, une perle d’homme (forcément interprété par Bouli Lanners), ami inconditionnel (et peut-être secrètement amoureux ?), collègue attentionné, qui veille au grain et va l’aider à surnager… Mais rien ne sera de tout repos.
Sans donner de réponses toutes faites, tout en douceur aérienne, Notre Dame questionne sur la place de l’art, de l’architecture à notre époque moderne, il évoque les sempiternelles polémiques qui sporadiquement réapparaissent, souvent disproportionnées. Une dernière précision de taille, le film a été écrit et tourné bien avant l’incendie que l'on sait : les images de la cathédrale intacte le prouvent… et sont étonnamment émouvantes.