Le Fantôme de la liberté est certainement le film le plus surréaliste de la dernière période de Luis Buñuel. Son titre fait directement référence au Manifeste du Parti communiste de Karl Marx qui commence ainsi : « Un fantôme parcourt l’Europe. » Pour le cinéaste, la liberté est ce fantôme que nous essayons désespérément d’attraper et c’est ce qu’il tente de faire avec ce film : s’affranchir de toute contrainte et exploiter au maximum les possibilités qu’offre le cinéma. Composé de quatorze épisodes, Le Fantôme de la liberté bouscule en tout point les lois traditionnelles de la dramaturgie puisqu'il n’y a aucune véritable intrigue ni aucun personnage principal. Buñuel et son coscénariste Jean-Claude Carrière adoptent le principe du cadavre exquis, jeu inventé par les surréalistes dans les années 1920 : le spectateur passe d’une scène à l’autre sans logique apparente, le seul fil conducteur étant l’un des personnages. Le spectateur est donc constamment « déstabilisé » puisque le film ne se passe jamais comme prévu. Buñuel nous fait accepter des situations complètement absurdes et s’amuse à jouer avec notre logique. Pourquoi faire rechercher par la police une petite fille si celle-ci n’a pas disparu ? C’est que le film s’amuse à juxtaposer les contraires comme cela est le cas de cette petite fille à la fois absente et présente ou le couple sadomasochiste qui se donne en spectacle devant les moines. En outre, Buñuel joue également avec les convenances en déplaçant les interdits – voir la scène où des amis se retrouvent autour d’une table pour satisfaire leurs besoins mais se retirent aux cabinets pour manger, ou la relation incestueuse entre un jeune homme et sa vieille tante. Dernier opus du triptyque surréaliste de Buñuel, Le Fantôme de la liberté est un manifeste pour l’imaginaire aussi audacieux que grandiose !