Ne fuyez pas au prétexte que vous n’avez pas la foi ou que vous en avez marre des documentaires. Vous passeriez à côté d’un film magnifique qui a su emballer les plus anticléricaux et sceptiques d’entre nous. C’est avant tout une grande aventure humaine, qui raconte un besoin de tendresse et de consolation profondément ancré en chacun de nous.
Lourdes commence par une caresse toujours renouvelée, celle de milliers de mains sur une roche polie par leurs doigts autant que par les ans. Des mains toutes différentes, chacune racontant un parcours singulier. Il y a celles, menues et graciles, à peine sorties de l’œuf. D’autres plus grassouillettes qui semblent vouloir arrondir les angles. D’autres toutes ridées comme si elles avaient déjà trop vécu et plus grand chose à espérer… Pourtant toutes espèrent ! Elles ont toutes les couleurs du monde, toutes les couleurs de l’humanité. En quelques plans d’une beauté évidente, on plonge dans un univers aussi sensoriel que réparateur. Puis, progressivement, il y a ces voix qui viennent le peupler, ces voix venues du tréfonds des âmes. Elles nous parlent des jardins les plus secrets, sans ostentation, sans trop en dire. La caméra jamais n’est impudique. L'oreille du preneur de son, l'œil de l'opérateur sont toujours discrets et bienveillants. On vagabonde au milieu de pensées, d’aspirations, d’angoisses proches des nôtres. Nous voilà unis avec nos semblables dans une même communauté de destins. « Nous sommes des hommes, nous sommes des femmes, nous sommes tous un peu perdus » dira le père Jean… Celui-là même qui, sans juger, tend la main aux prostitué(e)s du bois de Boulogne pour lequel il affrète chaque année un bus qui les conduit en pèlerinage. Quelle étrange colonie de vacances ! Des personnages haut en couleurs et en pensées qu’on ne s’attendrait pas à voir dans un lieu saint ! Et pourquoi pas ? Lourdes est un étrange patchwork populaire, plus rock’n roll et libertaire qu’on aurait imaginé. De long temps on n’oubliera l’adorable Isidore. Pute ? Travesti ? Tellement plus que cela !
Nous plongeons au-delà des apparences, tout comme ces corps venus s’immerger dans une même eau bénite. Chahutés par la vie, parfois ravagés par la maladie, ils avancent pourtant et nous amènent à dépasser les différences, à nous accepter tels que nous sommes. Et peut-être est-ce là le plus puissant miracle de Lourdes : cette faculté à réunir ceux qui sont cabossés dans leur chair ou dans leur esprit, toutes origines sociales confondues. Tous en repartiront transcendés, même les bien portants, les bénévoles qui pensaient être venus uniquement pour donner. Il faut les voir décompresser lors de leurs nuits bien arrosées dans une ambiance presque paillarde ! Ces hospitaliers, parfois tatoués jusqu’au nombril, sont loin d’êtres des grenouilles de bénitier. Peu auraient imaginé l’intensité des rapports tissés au fil des mots et des gestes.
C’est grand bonheur de pénétrer à pas feutrés dans le quotidien de ceux qui n’ont d’autre horizon que l’instant présent, chacun s’attachant à en faire quelque chose de dense. On aime le regard charmeur de Jean-Louis, rescapé d’une peine de cœur, le sourire complice de ce couvreur tombé d’un toit, les espiègleries des manouches déjantés venus en bande… Ce père orné de médailles et de décorations, tout militaire qu’il soit, nous bouleverse, sans parler de cette adolescente sur laquelle le regard de ses camarades tombe comme une double peine… Et puis bien sûr il y a Jean, ce chef d’entreprise dévasté par la maladie de Charcot et dont les mots si beaux transportent toute la poésie et la sérénité des océans. Quand on ressort de ce voyage, riche de ces rencontres, réconcilié avec notre nature profonde, on sait qu’on ne les oubliera pas. Qu’importe qu’on soit croyant ou pas, on est touché par la même grâce universelle et la certitude d’avoir regardé et été regardé comme une personne…