3.5 | 3 | 5 | 4.5 |
Christian Petzold avait remporté l'Ours d'Argent à Berlin avec son film Barbara, dont vous vous souvenez sans doute, il reprend dans Phoenix les deux acteurs qui lui avaient si bien réussi. La guerre vient de finir, nous sommes en juin 1945 et Nelly Lenz, chanteuse berlinoise, a survécu par miracle au camp de concentration. Torturée, le visage écrabouillé, elle est soutenue par son amie Lene qui, plus perspicace, avait pu passer en Angleterre quand il était encore temps et s'active désormais à la réintégration de ceux qui essaient de reconquérir une place. Son visage à peine reconstruit par la chirurgie, Nelly se met en tête de retrouver Johnny, son amour perdu, malgré la mise en garde de Lene qui cherche à l'emmener avec elle en Israël tant la vie à Berlin en ruines est dure et désespérante pour les rescapés.
Nelly n'avait rien vu venir, contrairement à Lene, elle ne pouvait croire que le simple fait d'être juive pouvait l'entraîner vers l'horreur, elle avait voulu rester jusqu'à ce que la réalité la rattrape. Incorrigible, elle refuse à nouveau l'évidente lâcheté de celui qu'elle aimait et qui a sauvé sa peau en la dénonçant… persuadée qu'il suffira qu'elle apparaisse pour que tout redevienne comme avant.
Berlin est dévastée, peuplée de gens qui ont perdus leurs repères, qui traînent leur honte et leur peur dans les rues aux maisons bombardées, ni vivants, ni morts, contrôlés sans ménagement par les soldats américains et ceux qui traquent les anciens nazis. De son côté Johnny devenu Johannes n'a pas la belle vie, il ne fait plus de musique, a tout perdu, travaille dans une gargote et se terre dans un galetas minable où Nelly va le suivre. Lui aussi, d'une autre façon et pour d'autres raisons, nie la réalité, refuse l'évidence : sa femme est fatalement morte et malgré la ressemblance évidente de cette fille qui le suit, malgré les mots qu'elle prononce et que seule sa femme aurait pu dire, il nie son retour, ne veut voir qu'un troublant hasard et lui propose un deal fou dans le but de récupérer l'héritage qui revient à sa femme du fait de la disparition de la totalité de sa famille dans les camps, ajoutant une seconde trahison à la première…
Mais Johannes a beau se montrer sous son jour le moins reluisant, Nelly continue à s'aveugler, à espérer, à croire que ce bel amour qu'elle croyait indestructible peut renaître de ses cendres. Elle accepte de rentrer dans le stratagème qu'il lui propose : se faire passer pour elle-même, annoncer officiellement son retour pour pouvoir mettre la main sur sa propre fortune… et en devenant son propre double boire le calice jusqu'à la lie, jusqu'à savoir si Johnny l'a réellement aimée ou s'il l'a trahie…
On dira que l'histoire est impossible, qu'on nage en pleine schizophrénie… mais justement, c'est ce qui est intéressant et cette intrigue romanesque illustre bien les fragilités de l'esprit humain et les difficultés à garder son intégrité devant la vision de l'horreur et la peur pour soi-même : jusqu'à quel point faut-il aller pour accepter enfin de comprendre, est-il possible de garder lucidité et santé mentale quand on a traversé l'enfer, ou quand on s'est perdu soi-même en reniant ce à quoi on tenait le plus ?. « Avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois » disait le Christ à Pierre incrédule qui, à quelques heures de le trahir, niait lui-même être capable d'une telle trahison. Johnny pourra-t-il se pardonner à lui-même quand ses yeux seront dessillés ? L'amour de Nelly peut-il encore sauver leur histoire, comment survivre sans amour ?… « Est-il possible de sortir du gouffre nihiliste creusé par les nazis et de reconstruire des émotions telles que l'amour, la compassion, l'empathie, la vie ? » interroge le réalisateur.