Parfois en France, on a la cinéphilie un peu snob. On a la fâcheuse tendance à mépriser ce qui pourrait paraître un peu trop joli, un peu trop romantique, pas assez tourmenté, pas assez cérébral. Ferzan Özpetek, cinéaste natif d’Istanbul mais italien d’adoption, en a fait les frais. Après deux premiers films d’auteur sélectionnés à Cannes à la fin des années 90, Hammam et Le Dernier harem, il s’est orienté vers un cinéma plus populaire qui a conquis le public transalpin, raflant à chaque fois des récompenses nationales, mais se faisant bouder parallèlement par les distributeurs français. Pour toujours, titre français trop passe-partout de La Dea Fortuna (« la déesse Fortune », qui pourrait être l’équivalent de notre « bonne étoile »), malgré un carton en Italie lors des fêtes de Noël 2019 d’avant covid, aurait très bien pu ne pas trouver le chemin des écrans hexagonaux sans la passion et l’audace des amis de Destiny Films.
Après une séquence d’introduction étrange et un peu anxiogène se déroulant dans un quelconque château où des enfants – dont on ne fait qu’entendre les voix – sont enfermés dans un placard (séquence dont on n’aura l’explication que bien plus tard), nous voilà parachutés dans une fête typiquement romaine de mariage, en l’occurence gay, truculent et bruyant, qui est l’occasion de présenter les différents personnages. Il y a là les organisateurs très queer du mariage, une petite dame bougonne et son acolyte transgenre, un couple hétéro dont on comprend que le mari est frappé d’un début d’Alzheimer et un couple gay, Alessandro et Arturo, en pleine dispute, Arturo ayant compris qu’Alessandro s’était esquivé brièvement en pleine fête avec un bellâtre. De fait le couple est au bord de la séparation.
Arturo est un universitaire qui a plus ou moins raté sa carrière, alors qu’Alessandro, plombier de son état, fait bouillir la marmite. Les deux hommes, qui se désirent de moins en moins et se querellent de plus en plus, semblent bien être arrivés au bout de leur histoire d’amour. Et l’affaire pourrait être rapidement pliée si ne déboulait pas sans prévenir Annamaria, amie à la vie à la mort d’Alessandro, flanquée de ses deux enfants, qui leur demande de prendre en charge quelque jours sa progéniture, le temps de passer des examens médicaux qui réclament un court séjour hospitalier à Rome. Les deux hommes, bien embêtés, peuvent difficilement refuser, sans savoir que cet épisode va durablement transformer leur vie.
Ce scénario a été inspiré par la propre expérience du réalisateur, lui même gay, à qui sa belle sœur a fait promettre, dans le cas où il lui arriverait quelque chose, que lui et son compagnon prendraient en charge ses neveux, ce qui l’a plongé dans une certaine angoisse face à la responsabilité. Pour toujours est un beau mélo romantique, autant sur la transformation de l’amour chez un couple au bout de quelques années – amour qui peut rebondir d’une façon inattendue – que sur la parentalité que l’on peut construire au-delà des liens biologiques, sans discours militant sur l’homoparentalité. Les deux acteurs Stefano Accorsi et Edoardo Leo sont bouleversants, notamment dans leurs relations avec les deux enfants. Pour toujours s’avère un film simple et beau, une ode universelle à la tolérance, au point que le film a même su trouver un distributeur en Turquie, malgré la présence de personnages homosexuels, dans un pays où le sujet est particulièrement sensible.