Les Affluents

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Phnom Penh, aujourd'hui. Trois jeunes, trois perspectives, trois parcours. Songsa, adolescent introverti, est envoyé dans la capitale par sa famille pour vendre des vêtements dans un tuk-tuk. Phearum s'endette pour acheter un taxi et affronte l'inattendu. Thy plonge dans la vie nocturne et rêve d'intégrer un groupe de motards. Trois manières de vivre, trois destins, trois regards. Les Affluents dessine le portrait d'une jeunesse qui fait face à un monde et une société en pleine mutation.

Vos commentaires et critiques :

 

Si vous aimez les tuk-tuk et que vous êtes un peu toc-toc vous serez probablement comme un poisson dans l'eau dans Les Affluents de Jessé Miceli. Premier long-métrage halluciné, frappant et frappé, ovni from Mars mais au final en provenance de Phnom Penh, Cambodge. Sans clou, sans vis, s'enchaînent des microfictions, des fragments, composants un poème qui chercherait à rassembler les membres de sa narration perdue. Soit, en mode mur de pierres sèches sans liant, les trajets de trois garçons qui deviennent également celui de leur famille, de leurs amis, de leurs fréquentations, d'une ville, d'un pays tout entier. Dans ce mouvement, celui d'un travelling arrière qui composerait une vue d'ensemble, la grande force du film est également de nous transformer en un affluent. A l'aise, on se glisse dans le courant, sans trop savoir où tout cela va nous conduire, on est embarqué sans destination précise oubliant même le point de confluence, là où les eaux se mêlent. Captivés, nous sommes liés au quotidien de Songsa, garçon quasi muet, 200% timoré, que tout le monde prend pour son esclave. Celui de Thy, sous l'emprise de son demi-frère débile, trouvant un travail dans une boite gay, michetonnant avec des touristes étrangers, dans le souci de s'acheter un 650cc pour faire le kéké avec des filles. Et celui de Phearumn chauffeur de taxi, marié à une prof qui n'a pas de travail et trop d'enfants à la maison, et qui voudrait être un autre. Faire des affaires avec des chinois par exemple. Leur vendre de belles et grosses voitures. Autant dire leur tirer leur fric.
Le film baigne dans des business de pacotille, salaires journaliers à 2 dollars, avortement clandestin, chinois achetant le sol du Cambodge, karaoké bourré avec papa, club underground en mode death metal suédois où une partie de la jeunesse, en pogotant, semble tout autant s'inventer un avenir que se dissoudre. La sidération est que tout cela est filmé avec une étonnante tranquillité, à l'instar d'un poulet qu'on ébouillante à l'heure de l'apéro, dans un Phnom Penh en pleine mutation économique, extension libérale, accroissement urbain et ses corollaires : laissés pour compte, casse sociale, dérives. James Joyce, "le grand dragon du verbe” disait : "Ce qui importe par dessus tout dans une création, c'est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir". Ce que nous propose Jessé Miceli, et c'est là en quelque sorte la prouesse, est d'être à la fois au point d'arrivée et à la source des affluents de la création.