Un autre monde

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Un cadre d'entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l'un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa Direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd'hui exécutant. Il est à l'instant où il lui faut décider du sens de sa vie.

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Un autre monde… titre ô combien subtil et ambigu qui laisse le champ à de multiples interprétations, d’autant plus dans le contexte actuel. S’agit-il d’un monde révolu qu’on laisse derrière soi ou de celui vers lequel on va, ou encore d’un autre rêvé qu’il faudra s’atteler à construire ? En tout cas cela pourrait bien être le dernier volet d’une trilogie entamée avec La Loi du marché qui mettait déjà en scène le monde du travail, de l’entreprise, plus que jamais en guerre (titre du précédent film du réalisateur).
Pour Philippe Lemesle, cela semble sonner la fin d’un cycle, d’un pan de vie qui s’effondre. Dans les yeux de celle qui s’apprête à devenir son ex-compagne, qui réclame divorce et réparation, sous la couche de colère et d’angoisse mêlées, transperce toujours une incommensurable tendresse. Sans doute aura-t-il fallu beaucoup d’usure et de déceptions pour qu’elle et lui en arrivent-là. Elle, Anne, incarnée par Sandrine Kiberlain et lui, Philippe, par Vincent Lindon, sublime couple d’acteurs à l’écran, comme ils le furent dans la vie, ce qui confère à leurs personnages une véracité supplémentaire.
Il faut à Anne un sacré courage pour quitter ce confort matériel douillet que tant pourraient lui envier, la grande maison chaleureuse qu’à deux ils avaient aménagée. Mais quoi faire d’autre alors que la vie lui semble être devenue un enfer. Un enfer !? C’est le terme que Philippe ne semble pas pouvoir entendre, le premier électrochoc qui fera vaciller ce cadre expérimenté, d’une compétence rare, perpétuellement phagocyté par son travail. La seconde secousse proviendra du ènième plan social que demande d’opérer le PDG américain de sa boîte, Elsonn – un nom fictif aux consonances familières, tout comme le couplet qui accompagne cette décision : « Sacrifier quelques dizaines d’emplois pour en sauver des centaines d’autres…». Pourtant nul n’ignore que le groupe est largement bénéficiaire, les actionnaires grassement rétribués, les ouvriers largement pressurisés. La tertiarisation à outrance bat son plein tandis qu’une partie industrieuse de la population se paupérise. Se met en branle une immense machine à broyer, dont Philippe est censé actionner le levier, une fois encore, une fois de trop… Car derrière chaque fiche de paye, il ne peut plus se voiler la face, se cache une existence, une famille comme la sienne, moins riche que la sienne. Dans son usine au bord de l’implosion, à l’instar de sa vie, où tous travaillent en flux tendu avec une véritable implication, ce qui n’aurait dû n’être qu’une simple opération de routine se transformera bientôt en un plombant cas de conscience. Voilà Philippe bien déterminé à changer la donne face aux autres dirigeants européens, arrivant avec une idée simple et grandiose… Une idée que jamais ne devrait avoir un patron…
On ne vous en dira pas plus, pour ne pas altérer l’incroyable tension qui vous tiendra en haleine pendant tout le film, mais il est indispensable de saluer la performance d’Antony Bajon dans le rôle du fils Lemesle, il est décidément en train de devenir un acteur majeur du cinéma français.
Stéphane Brizé nous livre-là une analyse tout aussi poignante que glaçante d’un système cynique en bout de course dont les maillons humains, y compris les cadres supérieurs, ne semblent pas valoir plus que de simples fusibles interchangeables.