Elles en ont fait, du chemin, les nanas, depuis les soutifs brûlés… Conquérir des postes de pouvoir, refuser la domination masculine, choisir d’avoir (ou pas) des enfants, les faire seules et tenter d’être avec talent sur tous les fronts : au boulot, au lit, à la sortie de l’école, devant les fourneaux, et dans les dîners mondains. Elles se sont libérées, sans doute, et c’est tant mieux. Pourtant une autre forme d’aliénation s’est insidieusement glissée dans les cerveaux, sournoise, pernicieuse, d’autant plus difficile à combattre qu’elle est le fruit d’une injonction intime, nourrie par l’air du temps, distillée par les revues, la mode, sur un ton souvent enjôleur comme si tout cela n’était pas si grave. Il faut être désirable, en forme et garder les siennes bien fermes, être comme si le temps n’avait pas de prise, ni les grossesses, ni la fatigue, ni les coups durs de l’existence.
Claire tente de composer avec tout ça et ne s’en sort finalement pas si mal. Larguée par l’homme de sa vie, elle vit seule depuis maintenant suffisamment longtemps pour supporter la déception d’avoir été trahie et jongle entre son boulot de maître de conférence, sa vie de mère et une relation exclusivement sensuelle avec un homme bien plus jeune qu’elle. Elle a beau se dire intérieurement qu’elle pourrait être sa mère, qu’elle n’a plus forcément tous les atouts pour garder contre son corps de femme de cinquante ans ce beau gosse musclé et plein de fougue, elle fait comme si le temps pouvait suspendre son vol, ne gardant que le meilleur sans les remords.
Mais jeunesse se lasse… et Claire se retrouve sur la touche, non pas bannie, mais simplement écartée, comme un beau joujou auquel l’enfant aurait fini de s’intéresser, parce que la vitrine propose bien d’autres choses plus alléchantes.
Comme Claire vit avec son temps et qu’elle n’est pas la dernière des cruches pour surfer dans ce vaste monde parallèle que sont les réseaux sociaux, elle va s’inventer un double pour espionner son amant négligent par l’intermédiaire de son meilleur pote, photographe de son état.
Elle va devenir Clara, jeune, forcément très jolie et pas conne.
Devenir autre est d’une facilité déconcertante et la proie va mordre à l’hameçon… tellement bien qu’une relation virtuelle entre les deux (presque) jeunes gens va s’installer. Prise à son propre jeu, Claire va jouir de ce nouveau statut, grisée par le mirage d’être redevenue jeune, désirable, attirante, fusse au prix du mensonge, de la manipulation et des faux semblants.
Tout cela va mal se terminer, bien sûr, car on ne peut pas être celle que vous croyez sans se perdre dans les jeux de miroirs, sans troubler les eaux de sa propre identité pour finalement se noyer dans un océan virtuel qui cache sous ses allures de carte postale idyllique les méandres d’un gouffre digne du triangle des Bermudes.
De forme initialement assez classique, le film n’est pas tout à fait non plus celui que l’on croit, plus malin, plus retors et plus complexe qui n’y paraît de prime abord. Banal portrait d’une femme mûre comme on dit pudiquement (sauf que bon, quand même, c’est Juliette Binoche et elle est canon), le récit se mue doucement en thriller au cœur duquel le spectateur lui-même va être aspiré, sans trop savoir finalement de quelle réalité il est ici question. Celle de Claire maître de conférence qui veut être aimée pour ce qu’elle est ? Celle de Claire racontant son histoire machiavélique dans le bureau d’une psychiatre (Nicole Garcia, impec) ou celle de Claire qui écrit son histoire pour exorciser ses démons ?