Milla, qui portait encore son titre original de Babyteeth (dent de lait) fut un de nos gros coups de cœur du Festival de Venise l’an dernier. C’est un premier film parfaitement maîtrisé, virevoltant, remuant dans tous les sens du terme et auquel il est difficile de rester insensible, à moins d’avoir un raisin sec à la place du palpitant… C’est un hymne à l’amour, à la vie qui court à en perdre haleine, un voyage à bout de souffle.
« Niveau autorité parentale… on doit être les pires ! ». Si Anna Finley (bourgeoise sous hauts médocs) et son époux Henry (psychiatre évanescent) sont des parents dépassés par les événements, il ne manquent pas pour autant d’humour. De prime abord, on ne donnerait pas cher de ce mariage de bras cassés maladroits et pourtant… Il y a de la tendresse sous leurs chamailleries, du désir, toujours… Le temps qui passe, et parfois meurtrit les plus belles idylles, semble avoir flétri leurs peaux plus que leurs sentiments. Que leur couple dysfonctionne, leur fille Milla (Eliza Scanlen, lumineuse, évidente) ne semble pas s’en émouvoir, bien décidée à mordre dans sa vie à pleins crocs… même si ces derniers sont plus fragiles qu’ils ne devraient. Au fil du récit, on comprendra l’étrange entrée en matière proposée par les premières images : gros plan sur une dent de bébé, de celles que certains géniteurs conservent jalousement dans un petit morceau de soierie, symbole de l’époque révolue où leur progéniture était une petite chose facile à protéger dans le creux d’une épaule. Lointaine semblait alors l’heure impitoyable qui verra l’oisillon s’éloigner du nid à tire d’aile, sans pitié pour les tripes parentales nouées à l’idée de ne pas l’entendre rentrer un soir, redoutant le pire : une biture, une fumette, un polichinelle dans le tiroir… Mais fi de toute sensiblerie !
Le couple Finley a beau se morigéner, avoir fait jadis les quatre cents coups, ils n’échappent pas à la ridicule antienne ancestrale qui veut que les parents étouffent et conséquemment agacent leurs adolescents. Et Milla n’échappe pas non plus à l’immuable règle qui lui dicte de les envoyer paître et de suivre ses pulsions, non mais ! La gamine à l’apparence sage, à l’uniforme bien propret, va se laisser bousculer par le plus improbable des êtres, son antithèse, pas du tout le gendre idéal dont peut rêver une famille. Un mauvais garçon aux façons pas très catholiques, qui n’a peur de rien, et guère le sens des responsabilités ou de la légalité. Moses est un ténébreux à la gueule d’ange, un de ces écorchés vifs tatoués jusqu’au nombril, proches de la clochardise et de la délinquance. Un plafond de verre sépare bel et bien ces deux-là.
Mais n’imaginez pas que l’histoire sera banale, même si elle semble débuter comme un éternel conte de fée, la naissance d’un amour entre la belle et la bête, un énième remix deRoméo et Juliette. Ce joli film se joue de nos représentations, s’émancipe des clichés, joue au poker menteur, nous mène là où il veut. Subtil et puissant, il nous entraîne dans un voyage initiatique, une leçon de savoir vivre et de courage pleine de fraîcheur joyeuse. C’est avec regrets que l’on quittera ses protagonistes, chamboulés entre rires et larmes, étonnés que deux heures se soient si vite écoulées au rythme d’une bande son tout aussi éclectique que les goûts de Milla.