C’est un été comme les autres. Vacances sur la Costa Brava chez une grand-mère dont les histoires moult fois rabâchées ne fonctionnent plus qu’avec la petite sœur, alors que Nora, du haut de ses 15 ans, se sent envahie par un mortel ennui, une étrange torpeur. Il n’y a plus qu’à prendre son mal en patience dans la prison dorée de cet univers bien protégé, rythmé par le tic tac du coucou trop vieux qui a fini par se détraquer. La vie progressivement semble rétrécir malgré les paysages de rêve, les conditions d’une classe sociale aisée qui a accès à toutes les distractions possibles. Les vacances, c’est l’impossibilité d’échapper à la présence permanente de la famille, l’impossibilité de respirer quelques bouffées de liberté avec les copines, de se raconter de vive voix les premiers baisers avec ou sans la langue, « mais comment tu fais avec ton appareil dentaire ? ». Toutes ces préoccupations qui passionnent plus les adolescentes que les virées en bateau avec ceux dont on aimerait s’émanciper.
À tout cela se superposent les angoisses et la jalousie de la mère de Nora, notamment envers son mari qui ne les rejoint pas mais surtout devant la place prise par Rosana, la bonne colombienne immigrée pour se faire une vie meilleure, qui seule semble avoir le pouvoir de rassurer l’aïeule.
Cela se dit dans l’intimité d’un craquage, mais pas officiellement et surtout pas devant les amis envers lesquels on affiche la haute bienveillance obligée de la classe supérieure. Ce malaise larvé se camoufle donc lorsqu’il s’agit de prendre la décision magnanime d’accepter que Rosana puisse accueillir sa fille du même âge que Nora et qui n’a plus nulle part où aller. Elle porte un des plus jolis prénoms du monde : Libertad. « Liberté », celle dont rêve justement Nora.
Libertad n’est d’abord qu’une ombre fugace et boudeuse que l’on aperçoit dans l’embrasure d’une porte. La jeune fille deviendra vite pour Nora un sujet d’attention et d’attraction, qui découvrira ainsi les conflits qu’elle a avec sa propre mère dont l’état servile la révolte sans doute, sans qu’elle sache l’exprimer clairement. En chiennes de faïence, les deux s’observent selon l’adage « chacune à sa place et les moutons seront bien gardés ». Le premier pas, c’est la petite bourgeoise qui le fera. D’abord un peu timidement face à cette fille du même âge mais qui a l’air tellement plus grande, tellement moins timorée et plus mature d’avoir déjà vécu. Progressivement Libertad la poussera à ne plus écouter ses peurs, à oser être. Regarder les garçons, les aborder, laisser parler une sensualité en train de devenir trop grande pour la contraindre dans un sage maillot une pièce de petite fille. Avec le goût de la révolte grandira une indéfectible amitié qui nourrira l’envie de briser l’ordre hiérarchique du monde, le plafond de verre invisible séparant les classes sociales.
La réalisatrice s’est inspirée de son propre passage à l’âge adulte dans un milieu privilégié. Elle en restitue l’ambiance avec une précision tranchante, jamais acerbe. Une fiction empreinte d’une analyse sociologique fine où se mêlent aux images d’Épinal celle d’une réalité plus populeuse et anguleuse. Les deux jeunes actrices incarnent les rôles principaux avec une fraîcheur sublime. Deux étoiles naissantes, à n’en pas douter.