Cannes 2022 : compétition
La chirurgie et le nouveau sexe
Une enquêtrice du Bureau du registre national des organes (Kristen Stewart) surveille les agissements d’un célèbre artiste performer qui met en scène avec sa partenaire la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Jusqu’au moment où un groupe tente d’abuser de la notoriété du couple (formé par Léa Seydoux et Viggo Mortensen) pour adresser un message d’avertissement à la planète. À 79 ans David Cronenberg revient à l’un de ses thèmes de prédilection, l’évolution de l’espèce humaine, à travers une synthèse de ses obsessions qui renoue avec la veine de ses œuvres les plus caractéristiques, de Scanners (1981) à eXistenZ (1999). Au point de reprendre le titre exact de son deuxième long métrage, tourné il y a un demi-siècle, une charge prémonitoire contre les ravages des produits cosmétiques. Le réalisateur canadien, qui a obtenu le prix spécial du jury à Cannes pour Crash en 1996 et le Carrosse d’or en 2006 explique: “Les fans repèreront des clins d’œil à des scènes et passages de mes films précédents. C’est une manière de poursuivre mon exploration de la technologie liée au corps humain.” Écrit il y a 20 ans, Les crimes du futur est une réflexion abyssale polémique qui lui donne l’occasion de revenir à la science-fiction, dont il explique qu’elle “vous libère et permet d’explorer des phénomènes qui sont loin d’être étrangers à la nature humaine. La SF permet toujours d’aller au fond des choses, d’étudier la condition humaine… Par exemple, en voyant comment d’autres structures sociales pourraient modifier le comportement des personnages de l’histoire que vous racontez.” Doté d’un humour à toute épreuve, le réalisateur a signé récemment avec sa fille Caitlin un court métrage d’une minute en vidéo intitulé The Death of David Cronenberg (2021) dans lequel il contemple… son propre cadavre. Ce qui ne l’empêche pas d’annoncer d’ores et déjà son prochain film: The Shrouds, un thriller dans lequel il retrouvera Vincent Cassel, qu’il avait dirigé dans Les promesses de l’ombre (2007) et A Dangerous Method (2011). Coproduit par le Canada, la France, la Grèce et le Royaume-Uni, Les crimes du futur sort sous l’égide de Metropolitan Filmexport le 25 mai.
Un lit connecté en forme de carapace d’insecte, avec des tentacules qui s’agrippent aux mains et pieds du dormeur pour le soigner; un fauteuil qui ressemble à un squelette et dans lequel on peut manger en étant manipulé pour favoriser la digestion; un sarcophage-cocon piloté à distance pour pratiquer des autopsies et opérations… Bienvenue dans l’univers de David Cronenberg, qui après plusieurs incursions dans le thriller et le drame psychologique renoue, pour la première fois depuis eXistenZ en 1999, avec les excroissances organiques, les corps modifiés et autres bizarreries qui ont fait sa réputation dans les années 1970 (Chromosome 3, Scanners, Vidéodrome).
Dans un décor postapocalyptique, Les Crimes du futur (qui n’a rien à voir avec le film du même titre réalisé par Cronenberg en 1970) s’ouvre, après l’assassinat d’un enfant par sa mère qui sera plus loin au cœur du récit, sur un étrange couple d’artistes connu pour ses performances au cours desquelles Caprice (Léa Seydoux) tatoue en direct des organes de Saul (Viggo Mortensen) qu’elle va ensuite lui retirer pour en faire des œuvres d’art. Mais Caprice ne pratique pas ses ablations au hasard: les organes ainsi prélevés sont ceux que le corps de Saul ne cesse de fabriquer… Bienvenue dans l’univers de David Cronenberg et dans un monde où on ne ressent plus la douleur et où les corps mutent pour s’adapter à l’évolution. Dans l’ombre, le Registre national des organes, pour lequel travaille Timlin (Kristen Stewart), prend soin de recenser chaque mutation. La jeune femme est fascinée par l’idée que la chirurgie et la scarification ont remplacé le sexe.
Au-delà de ce qu’il montre, Cronenberg livre ici une passionnante réflexion, entre dystopie et transhumanisme, sur la manière dont l’homme devra d’une manière ou d’une autre trouver de nouveaux moyens de survivre sur une planète qu’il est en train de détruire. Si certains s’offusqueront à n’en pas douter des plaies béantes filmées avec sensualité comme à l’époque de Crash – cette adaptation de J. G. Ballard qui avait en 1996 divisé la Croisette –, voir le cinéaste canadien ainsi renouer avec ce qui a fait sa réputation sera pour les cinéphiles une savoureuse madeleine.