Y'a pas à chipoter : si les Britanniques sont très forts pour choisir des premiers ministres mal coiffés, prendre des décisions politiques suicidaires comme le Brexit, avoir une gastronomie des plus indéfinissables, ils le sont aussi pour un genre cinématographique qu’on pourrait dénommer « d’après une histoire vraie ». Et à côté des figures historiques – à commencer par leurs reines et rois – mis en scène dans des biopics souvent réussis, les cinéastes anglais n’ont par leur pareil pour relater des faits restés dans les mémoires qui impliquent des gens ordinaires, que rien ne destinait à occuper le devant de la scène. On se souvient en particulier du formidable The Pride, qui racontait la rencontre militante improbable et pourtant bien réelle entre les gays londoniens et les mineurs des Midlands, unis en 1984 contre Margaret Thatcher. Dans The Duke, dont l’histoire n’aurait pu en aucun cas se passer ailleurs que sur cette grande île paradis de l’absurde, le héros n’est pas un aristocrate mais un petit monsieur sexagénaire tout à fait banal. Un personnage comme chaque village du monde doit en avoir un : tatillon et porté par une unique obsession, qui amuse et attendrit la communauté autour de lui. Kempton Bunton, notre héros, est un salarié modeste qui se retrouve souvent au chômage parce que son franc parler déplait à ses supérieurs. En ce début des années 1960, Kempton se concentre sur un unique combat : obtenir l’exonération de la redevance télé pour les revenus modestes, les retraités et les pensionnés de guerre. Sa tactique de harcèlement de l’administration, des médias et des politiques, sans oublier ses tentatives de manifestation où il se retrouve souvent seul sous la pluie avec son fils… tout ça commence à devenir extrêmement pesant pour son épouse, qui doit se coltiner les huissiers venus encaisser la fameuse redevance que Kempton se refuse obstinément à régler.
Et puis un événement va faire basculer la situation. Le rachat par l’État du portrait du Duc de Wellington (The Duke du titre) peint par Goya – pas un des chefs d’œuvres du maitre espagnol, il faut bien le dire –, menacé de partir aux États Unis, scandalise Bunton, qui estime évidemment que les 140 000 livres dépensés pour la transaction auraient pu servir à financer la gratuité de la redevance. Ni une, ni deux, le rebelle à la taxe va échafauder un plan pour dérober le dit tableau à la National Gallery et réclamer une rançon, un coup exécuté de main de maître, au point de persuader Scotland Yard que c’est l’œuvre d’un professionnel…
À partir de ce fait divers incroyable, le chevronné Roger Michell nous offre un récit épatant, aux multiples rebondissements et aux dialogues savoureux. Il faut dire que le réalisateur peut compter sur un duo de comédiens exceptionnels : la grande Helen Mirren (elle fut justement l’inoubliable Elizabeth II dans The Queen de Stephen Frears) incarne merveilleusement l’épouse aimante mais exaspérée de Bunton, tandis que le multicarte Jim Broadbent s’avère tour à tour brillant, touchant et hilarant. Jim Broadbent, c’est une des tronches incontournables du cinéma anglais, dont vous ne connaissez pas forcément le nom mais que vous reconnaîtrez tout de suite : entre sa collaboration fidèle avec Mike Leigh et les Harry Potter, il compte à son actif pas loin de 100 films en 40 ans de carrière ! Et Jim Broadbent, c’est à chaque fois du bonheur. Donc ne passez surtout pas votre chemin et venez goûter ce que le so british peut nous offrir de meilleur. Une petite pinte vous attend à la sortie.