Il y a d’l’amour et du Fargo dans l’air, du kektchup, de la fausse hémoglobine aussi dans ce film jubilatoire. Le réalisateur Santiago Mitre embrasse de façon tout à fait réjouissante un style auquel il ne nous avait pas habitués dans ses précédents films (El Estudiante, El Presidente…), et cela dans une langue et un pays qui ne sont pas les siens. De quoi nous dépayser dans notre propre France.
À qui n’est-il jamais arrivé de ressentir l’envie irrépressible de tordre le cou à quelques idées reçues et accessoirement à son voisin ? On a beau aimer sa progéniture en bas âge, que ne ferait-on pas, excédés comme on peut l’être quelquefois, pour qu’elle cesse de brailler ? Qui n’a jamais fantasmé, sans oser l’avouer (ni le faire !) de jeter un bébé hurlant ou un chefaillon tyrannique par la fenêtre ? Ah ! Toutes ces pulsions sordides qu’heureusement l’on raisonne, lesquelles sans cela feraient de nous tous de furieux assassins ! Dans le fond, c’est cela le sujet drôle et plus profond qu’il n’y parait de cette fiction qui tangue jusqu’à nous faire basculer, morts de rire, dans un passage à l’acte dont on ne saura jamais s’il est réel ou imaginaire, tout autant que son auteur en doutera lui-même. Un vrai puzzle sans fin, comme vont le devenir les jeudis de José.
Tout commence par un accouchement volcanique, première scène qui campe en peu de temps la dualité amoureuse d’un petit couple d’apparence rangée et mal assorti. Elle, exaltée, agaçante, dépassée, vindicative, injuste, pétillante… en un mot attachiante, comme on dit maintenant. Lui toujours placide, poli, ne faisant pas une vague, un gros nounours, comme on dit depuis toujours, oubliant le fait qu’on n’a pas trop intérêt à faire sortir de leurs gonds ces faussement placides plantigrades. Un regard extérieur conclurait que José et Lucie n’avaient rien pour se rencontrer, même pas la langue… Et pourtant, ils se rencontrèrent… Une grossesse plus tard, pour les bienfaits d’une carrière, ils atterrirent dans cette ville de province normale, dans ce quartier à l’entourage normal, déracinés dans ce petit appartement normal. Si déjà faire cohabiter la braise et l’eau dormante dans le même bocal n’était pas gagné, l’arrivée d’une petite pisseuse-brailleuse au milieu de tout ça n’arrange pas les affaires. Vite la routine devient explosive, tout autant que Lucie qui ne parvient jamais à calmer son bébé, laquelle met autant de mauvaise volonté et de râleries dans les choses de la vie que sa propre mère. Et chaque soir, c’est toujours un peu plus anesthésié que José rentre au bercail pour retrouver une Lucie toujours plus agacée et de mauvaise foi. Face à cette tête à claques, on se demande quand les choses vont déraper. Et c’est sûr, elles vont déraper, mais pas dans le sens qu’on imagine, comme le scandale n’arrivera pas par qui l’on croit. Un incident va inverser le cours des choses. En même temps qu’à l’avènement d’un papa poule, on va assister à l’éclosion d’un nouveau José qui, c’est décidé, ne se laissera plus marcher sur les pieds…
Se méfier de l’eau qui dort nous enseignaient nos ancêtres les Gaulois. Difficile d’imaginer une succession de scènes de meurtres plus hilarants, très loin du genre noir qui sied en pareille circonstance. Le casting de ce film agréablement barré est aux petits oignons. Plus qu’un duo, c’est un quatuor de choc qu’il fallait oser imaginer avec, autour du couple Vimala Pons/Daniel Hendler, les inénarrables Melvil Poupaud en voisin planant autant qu’arrogant et Sergi Lopez en psy/gourou complètement allumé.