Les Oubliés de la terre promise… un beau titre pour un film passionnant et émouvant. La Grande Histoire a parfois (souvent ?) des parts d’ombre, qui sont peu – voire pas du tout – éclairées par les livres officiels. Voici l’épopée méconnue de celles et ceux qui, venus trouver un havre de paix, ont déchanté et dont les enfants – la réalisatrice en fait partie – essaient désormais de réhabiliter la mémoire, comme une juste réparation. Une Histoire non plus écrite ici du point de vue des dominants, mais bel et bien de ce celui des dominés.
Les Mizrahim, peut-être connaissez-vous ce nom fourre-tout qui désigna pêle-mêle tous les Juifs arrivés en Israël qui ne venaient pas de la belle Europe. Un mot pas très gentil pour désigner ceux venus d’Asie, du Maghreb, ces Juifs « arabes » un peu trop noirauds, considérés avant même qu’ils aient foulé le pied de leur nouvelle patrie comme de la racaille malpropre, décrétée moins civilisée. N’avaient-ils pourtant pas une âme, des racines et des rimes riches, les mêmes aspirations à se faire une bonne vie, la même religion ? Ils étaient parfois ingénieurs, enseignants, avaient fait des études supérieures… On les fit manœuvres, citoyens de seconde zone. C’est dans leur sillage que Michale Boganim (déjà réalisatrice des très beaux Odessa, Odessa et La Terre outragée) nous entraîne, dans un road movie où l’on découvre au travers de cités et quartiers marginalisés d’Israël, ce qu’il en est resté, comment ces meurtrissures invisibles infusent encore plusieurs générations après, laissant une marque indélébile. « Quand on accueille mal une population, on le paie pour cent ans. On condamne plusieurs générations. » constate le maire de Yeruham, tandis qu’un autre témoin raconte la façon dont on le sulfata au DDT à la sortie du bateau ou un autre ce que devint l’une des plus célèbres chanteuses marocaines, Zahara El Fassia… L’un parle d’une mère, d’un père, cet autre de lui-même… Par petites touches successives se dessine la carte géographique et historique d’une discrimination savamment orchestrée, d’un plafond de verre organisé dès le plus jeune âge, par un système éducatif rendu inéquitable – on entendra comment. Nulle langue de bois pour décrire les conditions d’arrivée, la façon d’appauvrir, de parquer ces indésirables dans des zones arides ou impossibles, la ségrégation à tous les niveaux, dans les écoles, la mise en place d’une main d’œuvre à bas coût, corvéable à merci. Autant dire qu’au bout du voyage, l’image d’un Israël uni et indivisible en sort pas mal écornée. De témoignage en témoignage, des mythes s’effritent.
Puis il y eut le temps de la révolte, celle des « Blacks Panthers » israéliens – dont fit partie le père de Michale Boganim –, qui se baptisèrent ainsi en référence au fameux mouvement américain. Que reste-t-il de cela désormais ? Comment se sont construites et se construisent encore les générations suivantes ?
Judicieusement la réalisatrice bâtit son récit comme une lettre à sa fille qui fait écho à la petite fille qu’elle fut elle-même. Ses déracinements successifs, sa difficulté à s’enraciner, à s’émanciper des entraves du passé. Se souvenir de cette vie où une simple voiture semblait être une valeur plus sûre qu’aucun mur de béton. Tout devient dès lors très vivant et vibrant : on entre dans la grande histoire par la petite histoire familiale. Elle s’émaille de réflexions tout aussi poétiques que philosophiques, la rendant universelle. Quelle étrange chose que la même Terre Promise puisse être tout à la fois le paradis perdu d’une enfance et le symbole du rêve brisé de ses parents !