CANNES 2016 - SÉANCE SPÉCIALE
Le Roi Soleil s’éteint
Le metteur en scène catalan Albert Serra s’est fait connaître grâce à Honor de cavallería, très libre adaptation de Don Quichotte présentée à Cannes en 2006 par la Quinzaine des réalisateurs, comme Le chant des oiseaux, grand prix du Festival Entrevues de Belfort en 2008, et Histoire de ma mort , Léopard d’or à Locarno en 2013. Coproduction franco-espagnole entre Capricci (qui le distribuera), Andergraun Films et Bobi Lux, La mort de Louis XIV s’inspire des mémoires de Saint-Simon, avec Jean-Pierre Léaud dans le rôle du Roi Soleil et, dans celui de son médecin, Patrick d’Assumçao, vu en 2013 dans L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie, Madame de Maintenon ayant les traits de l’icône de mode Irène Silvagni, veuve du producteur italien de Théo Angelopoulos. Le tournage s’est déroulé pendant une quinzaine de jours dans le château de Hautefort, en Dordogne. Producteur de ce film à moins de 1 M€, tourné à trois caméras, Thierry Lounas pointe à propos de cette aventure, qui est une sorte de pendant de La prise de pouvoir par Louis XIV de Roberto Rossellini (1966), “pas mal d’improvisation économique et les difficultés habituelles de la production indépendante”, mais se réjouit de “voir Jean-Pierre Léaud de retour sur La Croisette”, où il a été révélé… en 1959 et où il recevra une Palme d’honneur.
La Mort de Louis XIV est d'une beauté sidérante, tant par sa mise en scène, digne des compositions et de la lumière d'un Rembrandt, d'un Caravage, d'un de la Tour, que par l'émotion que procure la présence si particulière dans ce rôle de Jean-Pierre Léaud, acteur à nul autre pareil. Comme l'indique sans équivoque son titre, le film nous donne à voir les derniers jours de ce Roi que l'on appela Soleil et que l'on va pourtant découvrir s'enfoncer dans la nuit, au sens figuré de son agonie et au sens propre également, tout le récit se déroulant dans la pénombre de la chambre royale à peine éclairée par quelques chandelles.
Nous sommes au mois d'août 1715, le roi a 75 ans (âge tout à fait vénérable pour l'époque, et que peu d'hommes atteignent), il règne depuis 54 ans. En cette fin d'été, l'absolu souverain est frappé d'une douleur violente à la jambe. Les médecins qui se pressent en permanence autour de lui croient d'abord à une simple sciatique mais quand la jambe commence à noircir, tout le monde comprend que l'affaire est beaucoup plus sérieuse, et qu'il convient d'amputer pour éviter une issue fatale. Mais à cette amputation le roi dit non. L'agonie durera près de deux semaines, une durée qu'Albert Serra semble raccourcir. Mais à ce détail près, le cinéaste a respecté assez scrupuleusement le récit de cet épisode tel que l'a retranscrit Saint Simon.
On va voir défiler dans cette chambre bientôt funèbre tout ce que la cour compte de courtisans, de courtisanes (Louis XIV on le sait collectionna les maîtresses), de conseillers, de médecins pour le moins charlatanesques… tous empressés de recueillir les dernières consignes ou faveurs du roi. Albert Serra dresse ainsi un portrait lucidement cruel de la vanité du pouvoir, bien dérisoire face à la mort qui s'avance. Car celle ci commence à enlever tout pouvoir et toute prestance au monarque. Alors qu'il est encore en capacité de parler au début du film, peu à peu il n'est qu'un corps souffrant, suant, moisissant, qui peine à ingérer sans vomir quelque nourriture. Quelques moments de grâce – avec ses chiens ou lors des derniers conseils donnés à son si cher arrière petit-fils, le dauphin et futur Louis XV, alors âgé de cinq ans – permettent au spectateur de respirer, ainsi que quelques perspectives que laisse entrevoir la fenêtre sur les jardins de Versailles. La caméra peint magnifiquement ces scènes, jouant à la perfection de la lumière sur le visage blême des courtisans ou sur celui du roi souffrant.
Quant à Jean-Pierre Léaud, il est grandiose, apportant à son rôle tout le poids et toute la résonance de ses 60 ans de carrière aussi flamboyante que cahotique. « Albert Serra offre un magnifique cadeau à Jean-Pierre Léaud… En le consacrant monarque absolu du cinéma français, il offre à son mythe un écrin beau comme un Rembrandt, que l'Histoire semblait attendre sans oser le demander. »