3.5 | 4 | 4.25 | 3.75 |
"Un film de braquage ? Non, j'ai encore mieux. Un thriller en temps réel." Là est l'ambition de Victoria et de son metteur en scène Sebastian Schipper. Martin Scorsese, Brian De Palma, David Fincher ou encore Alfred Hitchcock ont sublimé l'art du plan-séquence. Outil permettant de démontrer le talent d'un metteur en scène, ce type de plan représente l'un des fantasmes ultimes du cinéphile. Un travail titanesque de minutie puisqu'il faut réussir à pallier à tous les problèmes dus à l'environnement et aux décors de tournage. Du haut de sa courte filmographie, le réalisateur allemand a décidé de se lancer dans le grand bain et de graver de son nom le mur de ceux qui ont osé le film en temps réel. Le film fait en un seul et unique plan. Le film casse-gueule par excellence, mais qui démontre une volonté de fer et une véritable passion pour son travail. Ça ne fait pas de mal de temps en temps. 5h42...7h56, deux heures quatorze de film durant lesquels le spectateur va découvrir et se lier afin de ne faire qu'un avec Victoria. Une histoire pouvant se résumer en quelques secondes, mais un scénario plus malin qu'on ne pourrait le croire. Enfermé dans le carcan formé par son concept de base, Sebastian Schipper (réalisateur, scénariste et producteur du film) doit faire en sorte que le spectateur ne soit pas rapidement gagné par l'ennui. Qui dit plan-séquence unique, dit montage inexistant et de nos jours, le montage est un outil "indispensable" pour dynamiser un film et pouvoir faire des ellipses afin d'aller à l'essentiel. Ce concept du thriller en temps réel est très intéressant et Sebastian Schipper nous prouve avec brio que l'on peut créer des personnages et les façonnés, avant de les détruire dans le but de faire sortir leur personnalité la plus humaine. Pour cela, il joue sur les préjugés du spectateur à l'encontre des protagonistes. La conduite du groupe de garçon à l'encontre de Victoria, va constituer la première étape de la construction de leurs personnalités respectives. Agaçant et éreintant, mais également escortés d'une Victoria, qui aussi douce puisse-elle paraître, s'avère naïve et bête. Telle est l'image que l'on peut se faire des protagonistes dans les premières minutes du film. Mais grâce à un scénario intelligent et une mise en scène qui va forcer les personnages à se dévoiler face à l'avancée de la nuit, ces derniers vont se révéler. Ils vont devenir humain, attachants et sensibles. Extrêmement lent dans sa première heure, le long-métrage prend l'initiative de jouer sur les sentiments du spectateur afin de révéler les véritables personnalités des personnages. De longs discours lors de déambulations dans la rue, on passe à de longs discours autour de bières... Un rythme extrêmement lent. Le metteur en scène cherche à rendre la liaison entre les personnages crédibles, tout en bâtissant leurs personnalités. On les découvre en pleine ivresse de la nuit, avant que ne leur arrivent les problèmes. Sur le coup on se pose des questions, on trouve les personnages "idiots" tous autant qu'ils sont. Ivres dans tous les sens du terme, ils ne nous apparaissent pas comme amical. Bien écrit et avec l'élaboration mise en place pour le bon fonctionnement du plan-séquence, on devient un personnage à part entière. On fait partie intégrante de ce gang d'un genre nouveau. Une liaison humaine et touchante, qui va permettre au film de gagner en intensité dans sa seconde partie bien plus mouvementée. Victoria est une expérience vidéoludique. Un film qui grâce à son concept en temps réel, plonge le spectateur au cœur de l'action pour gagner en intensité. On ne reste pas de marbre devant une telle œuvre humaniste et touchante grâce en partie à des acteurs habités par leurs rôles. Elle fait réagir et nous fait comprendre qu'au-delà de son indéniable audace et réussite, subsiste des dialogues qui ne dépassent pas leurs aspects naturalistes, sans recherches, ainsi qu'un cadre qui laisse à désirer. L'utilisation de la steady-cam permet de renforcer l'immersion, mais entache la lisibilité lors de phases de courses. Une steady-cam qui devient malheureusement rapidement shaky-cam. Qui plus est, l'usage exclusif des lumières de la ville rend certains plans trop sombres. Tout n'est pas parfait au sein de cette aventure. Les défauts sont nombreux et font réagir, mais ce sont eux qui font de l'œuvre ce qu'elle est. On a un film imparfait. Un film unique qui est enfermé par le carcan de son concept, mais qui s'en sert à des fins scénaristiques pour rendre son film plus humain et intense. C'est extrêmement osé et ambitieux, mais même si la réussite n'est pas totale, le film est marquant et on se souviendra longtemps de ce nom : Victoria.
C'est l'énergie fiévreuse et électrique de la nuit qui donne son tempo si particulier à ce thriller haletant, qui emporte Victoria (épatante Laïa Costa) dans une course effrénée vers une issue jusqu'au dernier instant incertaine… Le film débute par la lumière éblouissante et syncopée du stroboscope d'une boîte de nuit de Mitte, le quartier branché de Berlin. Peu à peu, alors que la caméra se fraie un chemin au milieu des corps dansant dans la pénombre, on devine celui de Victoria, énergisé par la techno qui monte et monte. Elle va vers le bar et tente d'engager la conversation avec le barman, en vain. On comprend que la jolie Victoria est seule, d'ailleurs elle finit par sortir du club, il est un peu moins de 6h du matin. Et elle tombe sur quatre lascars turbulents qui se sont vus refuser l'entrée. Des gars un peu chiens des rues, qui lui font croire qu'une voiture est à eux alors que pas du tout, un peu borderline mais gentils. L'un, complètement ivre, fête son anniversaire, bien que plus franchement en état d'apprécier l'occasion. Un autre, Sonne, a plus de bagout et s'avère même assez charmant, et quand il propose à Victoria de finir la nuit sur un toit de la ville, la jeune espagnole accepte. Elle doit ouvrir dans deux heures le café où elle travaille comme serveuse, elle n'a pas vraiment envie de rentrer chez elle avant… Ce qui frappe tout de suite le spectateur c'est que, depuis le début, la caméra n'a pas cessé de suivre Victoria et sa bande de « chevaliers servants ». Aucune pause, aucun changement d'axe, aucun montage. C'est la prouesse virtuose de la mise en scène : filmer en un seul plan et en temps réel les pérégrinations de Victoria jusqu'à l'aube. Des pérégrinations de moins en moins tranquilles ! La vie de la jeune femme aurait pu reprendre son cours tranquille après que Sonne l'ait raccompagnée jusqu'au café où elle travaille… mais par un concours de circonstances que l'on ne vous dévoilera pas, elle va se trouver embarquée dans un improbable braquage matinal. Et chacun sait que les braquages, au cinéma comme dans la vraie vie, se déroulent rarement comme leurs auteurs l'avaient prévu. C'est ainsi que Victoria, la petite Espagnole expatriée mimi et spontanée, va devoir chercher au fond d'elle-même des ressources insoupçonnées pour s'en sortir… Au-delà de la performance de mise en scène qui vous tient en haleine jusqu'au dernier instant, le film séduit par sa maîtrise des ruptures de ton : aventures nocturnes rigolotes dans une tonalité que n'auraient pas renié les maîtres de la Nouvelle Vague – avec la séquence assez magique sur un toit surplombant Berlin –, moments plus graves et sensibles quand Victoria confie à Sonne les souffrances de son enfance et de son adolescence vouées à la pratique intensive du piano, promise qu'elle était à un avenir trop grand pour elle, puis film noir palpitant quand la mécanique fatale du braquage se met en place… Et on n'oubliera pas Victoria, passant en une aube berlinoise de l'insouciance quasi-adolescente à la détermination magnifique d'une survivante.