CANNES 2018: HORS COMPÉTITION
État de siège
D’un budget de 6,1 M€, Another Day of Life est composé de 75% d’animation et pour le reste d’images en prises de vues réelles. Il s’inspire de l’expérience traumatisante vécue par le correspondant polonais Ryszard Kapuściński au cours de trois mois de la guerre civile qui a déchiré l’Angola et qu’il a relatée dans son livre D’une guerre l’autre (Éditions Flammarion, 1988) où il relate le siège de Luanda à la fin de l’été 1975, en soulignant l’absurdité de la situation. Entrepris en août 2014, ce projet ambitieux a valu à ses six artisans le prix du producteur de l’année qui leur a été décerné en mars dans le cadre de Cartoon Movie. Il associe le réalisateur polonais Damian Nenow, lauréat d’une distinction spéciale à Annecy en 2011 pour son court métrage Paths of Hate, et le documentariste espagnol Raúl de la Fuente, couronné, quant à lui, d’un Goya en 2014 pour son court métrage Minerita.
Passionnant, Another day of life est une immersion totale dans un pan d’histoire, un pays, un conflit, au plus près d’un reporter tellement humain qu’on le suit comme une part de nous-mêmes. Il aura fallu dix ans de travail en coproduction entre cinq pays pour parvenir à ce résultat. Entre images réelles, d'actualité, motion capture, animation, dessin… le duo de réalisateurs hispano-polonais fait feu de toutes techniques pour parvenir à ce résultat percutant.
1975… La Guerre du Vietnam finie, la guerre froide prend le relais. « Guerre froide », mais pas pour tout le monde. Tandis que l’empire colonial portugais s’effondre, les USA et l’URSS se partagent le gâteau pour mieux étendre leur influence. L’Angola, qui s’apprêtait à (re)devenir un pays indépendant après cinq cents ans de domination coloniale portugaise, n’est plus qu’un épicentre des enjeux entre les deux super-puissances.
« Confusão ! Confusão ! » est le mot qui court sur les lèvres de tous les habitants de Luanda quand Ricardo y débarque. La vie y grouille, peu arrivent, beaucoup fuient, notamment les descendants des colons. Immédiatement on comprend combien Ryszard Kapuściński (surnommé par tous ici « Ricardo ») est dans son élément, combien l’agitation ambiante le galvanise. Avec lui on va plonger au cœur des événements, ne pas se contenter de les effleurer en surface. Nous sommes dans une capitale, dans un pays à plusieurs vitesses, dans lequel chaque parti politique est susceptible de générer des factions armées. Qui instrumentalise qui ? C’est la première question à se poser et elle donne libre cours à toutes les suppositions, des plus raisonnables aux plus délirantes : « Confusão ! ». Ici l’ambiance est épaisse et agitée, parfois torride toujours un peu glauque. Ici il y a des vilains garçons, des mauvaises filles, des anges déchus qui se réconfortent dans l’alcool. Des princesses du peuple, qui se trémoussent sur des airs endiablés, dans les musseques de la ville (équivalent des favelas brésiliennes). Ici il y a de vrais salauds, de faux amis, ou l'inverse. Entre ceux qui subissent et ceux qui jouent double(s) jeu(x), le dessous des cartes est plus que jamais douteux. Le soir venu toute cette faune métissée se retrouve un verre à la main et s’observe au travers des volutes de fumées qui s’envolent sur des airs de vieux jazz dans les boîtes fréquentées par quelques rares expatriés souvent peu recommandables. Le temps semble s’être suspendu dans une attente insupportable. Si les rares observateurs présents s’en contentent… Ricardo, lui, à l’instar de la capitale, est au bord de l’implosion. Malgré les avertissements dissuasifs, il veut aller plus loin sur le terrain, à la frontière, là où l’action se déroule vraiment, sur la piste de l’insaisissable Farrusco et de ses troupes armées qui résistent encore aux envahisseurs… Et c’est là qu’il ira !
On ressort ébouriffés de cette aventure hyperréaliste, très bien écrite, très bien décrite, captivante.