Patients, son film autobiographique déjà réalisé avec son copain de Saint-Denis Mehdi Idir, avait été un beau succès en 2017 avec plus de 1,2 millions de spectateurs profondément touchés par le parcours de celui qui est désormais connu comme Grand Corps Malade, slameur emblématique, autrefois Fabien Marsaud pour l'état civil, jeune basketteur de 20 ans promis à un bel avenir avant qu'un stupide accident de piscine trop peu profonde ne le laisse à jamais handicapé. Patients racontait son année de rééducation et son retour à la vie, avec le soutien d'autres comme lui dont la vie avait soudainement basculé entre espoir et résignation.
La Vie scolaire, récit du quotidien sur une fraction d'année d'un collège d'un quartier que l'on dit difficile, de relégation, de ZEP – en l'occurrence celui des Francs Moisins à Saint Denis – n'est pas à proprement parler autobiographique mais pourtant Grand Corps Malade et Mehdi Idir ont tenu à évoquer ce qui pour eux a constitué dans les années 90 une période décisive, les années collège, qui décident trop souvent, quand on est un jeune des quartiers populaires, de la suite de sa vie : orientation sur des voies de relégation pour beaucoup trop d'adolescents, et pour quelques uns, trop rares, ascenseur pour s'extirper du déterminisme social.
On suit parallèlement Samia, jeune Conseillère Principale d'Éducation tout juste arrivée de son Ardèche natale, l'équipe de surveillants, Moussa le grand frère, un peu trop connu de tout le quartier, et Dylan le chambreur, mais aussi un prof de maths passionné et passionnant à la vanne incisive, un autre beaucoup plus sur la défensive, un prof de sports aux initiatives peu orthodoxes et bien sûr toute une galerie d'élèves, parfois désespérants, parfois génialement mythomanes, parfois brillants bien qu'insolents, comme Yannis, auquel Samia croit et à qui elle va tenter de donner une chance.
Dans le cinéma français, la description de la vie scolaire dans les quartiers populaires se décline souvent en trois genres : la comédie lourdingue qui insiste sur tous les clichés plus ou moins drôles dignes d'une émission de Cyril Hanouna ; la fable avec happy end, souvent condescendante, généralement tournée par un réalisateur dont le vécu le place à dix mille lieues des réalités des quartiers ; et enfin, plus rare, le film intéressant mais très auteuriste que ne verront jamais les premiers concernés. Ce qui fait l'alchimie parfaite deLa Vie scolaire, qui échappe de fait haut la main aux trois catégories sus citées, c'est le mariage heureux entre un réalisme documentaire nourri par l'expérience des deux réalisateurs – qui ont grandi à Saint-Denis et y conservent toujours des attaches – et les ingrédients d'une authentique comédie dramatique populaire, avec sa dose de gags et de personnages hauts en couleurs, sans aucun manichéisme (même le petit prof intransigeant joué remarquablement par Antoine Reinartz est plus touchant qu'antipathique) ni angélisme, avec aussi ses moments d'émotion, les personnages principaux, qu'ils soient élèves, CPE ou enseignants, cachant des fêlures qui les rendent particulièrement attachants.
Comme le dit justement le prof de maths, « le contexte est plus fort que nous, mais faut-il baisser les bras ? ». C'est ainsi qu'à travers ce personnage de CPE courageuse, en contact direct avec tous les protagonistes de la vie du collège, magnifiquement interprété par Zita Hanrot, le film donne une image juste et assez exaltante d'un corps enseignant trop souvent maltraité voire méprisé. Quant aux enfants des quartiers populaires, les paroles de Je viens de là, la belle chanson qui clôt le film, disent bien la place qui leur est accordée : « J’viens de là ou on devient sportif, artiste, chanteur / Mais aussi avocat, fonctionnaire ou cadre supérieur / Surtout te trompe pas, j'ai encore plein de métiers sur ma liste / Évite les idées toutes faites et les clichés de journalistes… »