Depuis deux ans, le cinéma islandais connaît une période de grande productivité et ne cesse de gagner en reconnaissance. Après des films plusieurs fois récompensés tels que Béliers , L’Histoire du géant timide, Sparrows et Heartstone, les amateurs de festivals et les professionnels attendent avec impatience le prochain grand film du pays nordique. Le réalisateur et artiste visuel islandais Hlynur Pálmason (Copenhague), qui a déjà réalisé trois courts-métrages, est clairement en lice pour le titre du meilleur film avec son premier long-métrage, Winter Brothers. Cette histoire non conformiste d’un conflit fraternel vient d’être présentée à la Compétition Internationale du 70e Festival du Film de Locarno. Emil (Elliott Crosset Hove) travaille avec son grand frère, Johan (Simon Sears) dans une carrière de calcaire située dans une petite ville de l’est du Danemark. Les collègues d’Emil considèrent ce dernier comme un paria, un homme quelque peu étrange et excentrique ; c’est pourquoi il a tendance à s’isoler complètement. Ce comportement ne passe pas inaperçu aux yeux de sa voisine, Anna (Victoria Carmen Sonne), sur qui il craque secrètement. Il est mieux connu dans le village pour l’alcool frelaté qu’il fabrique à partir de produits chimiques volés à l’usine. Un jour, un ouvrier tombe malade et tout le monde se met à suspecter Emil – notamment son patron (Lars Mikkelsen). Emil perdra progressivement la confiance de son entourage, et son frère finira par s’éloigner lentement de lui, d’autant plus qu’il surprend celui-ci avec Anna qu’il convoitait. Winter Brothers est un premier long-métrage solide dans lequel Pálmason est parvenu à créer une ‘’histoire sur le manque d’amour’’. Emil est interprété de manière exceptionnelle par Crosset Hove – le fils de l’acteur très applaudi Anders Hove – qui incarne un homme simple qui fait profil bas et qui aspire à garder son emploi, avoir une petite amie et fonder une famille. Comme tout le monde le trouve étrange, même ces désirs tout à fait normaux semblent bizarres. Grâce à l’alcool frelaté, Emil tente de se faire accepter par une société hostile qui le rejette constamment. Même avant l’évènement qui a éveillé les soupçons de tous, il était régulièrement mis à l’écart de sa communauté, car il ne parvenait pas à répondre à la question suivante : ‘’pourquoi ne peux-tu pas être comme tout le monde ? ’’ Personne ne le comprend, et pour ne rien arranger, son propre frère ne saisit pas qu’Emil pourrait lui aussi avoir un côté sombre. Il devra souffrir et endurer une humiliation émotionnelle, même s’il ne comprend pas pourquoi cela lui arrive. L’aspect technique très détaillé est ce qui permet à Winter Brothers de se distinguer. En effet, Pálmason crée un film organique très vif grâce au travail de Maria Von Hausswolff qui capture avec puissance le décor pittoresque et enneigé dans un cadre arrondi, en format 35mm. De plus, le son imposant de Lars Halvorsen, composé de bruits industriels et naturels, s’entremêle à l’image. Le film aurait pu être une adaptation moderne d’une tragédie fraternelle quelconque ou une nouvelle tentative néo-réaliste visant à représenter la solitude dans une communauté sans douceur ni amour, mais Pálmason a décidé d’équilibrer subtilement ces éléments et de proposer un film à la fois naïf et sophistiqué. Son travail artistique est fort, délicat et avant-gardiste, des éléments dont tout réalisateur débutant a besoin. En fin de compte, Winter Brothers est un film simple sur nos désirs instinctifs, car, pour citer Emil : ‘’tout le monde veut être aimé et baisé.’’