Le tombeau du paon
Le film débute par les images irréelles et magiques d'une mère paon et de son petit, faisant ses premiers pas dans une nature au demeurant paisible. Pourtant l'oisillon ne survivra pas et l'homme à la caméra l'enterrera paisiblement, balisant l'emplacement de la minuscule sépulture par un petit caillou coincé par deux clous dorés au pied d'une souche, gardant ainsi, saison après saison, malgré les intempéries et les changements de la végétation, la trace de cette vie si éphémère.
Cette scène étrange est le fil conducteur de l'essai fascinant du cinéaste Alain Cavalier, au soir de sa vie, sur les petits bonheurs qu'on se doit d'attraper alors que la mort n'est jamais bien loin. Alain Cavalier est un étonnant cinéaste désormais octogénaire, qui est sensiblement de la génération des grandes figures de la Nouvelle Vague (il fut d'ailleurs l'assistant de Louis Malle). Après avoir connu le succès commercial avec La Chamade (1968), adaptation de Françoise Sagan, et quelques autres productions somme toute classiques, il préféra choisir une voie singulière avec un cinéma de plus en plus intime et dépouillé, à la limite de l'expérimentation, dans l'acception la plus positive du terme : jamais abscons, toujours audacieux. Malgré le retentissement de Thérèse en 1986 (Prix du Jury à Cannes) ou plus récemment et plus modestement de Pater avec Vincent Lindon, Alain Cavalier s'est peu à peu débarrassé de tous les artifices du cinéma pour être un cinéaste/promeneur/narrateur, puisant son inspiration autant dans la nature qu'au cœur de l'intime avec pour seule compagne une petite caméra DV à peine professionnelle et pourtant faiseuse de miracles.
Le Paradis est souvent drôle, parfois extrêmement touchant, et passablement irracontable, ineffable. Tourné sur plusieurs saisons, il mêle observations de la nature (Cavalier est un grand amoureux des animaux, particulièrement des chats qui ont accompagné toute sa vie), évocations de souvenirs intimes, digressions philosophiques ou bibliques agrémentées d'animations simplissimes avec un petit robot et une oie mécanique, captations des enfants et adolescents qui l'entourent lisant des textes splendides, ou réflexions drolatiques sur la redécouverte du plaisir des rollmops (c'est vrai, le rollmops est un plat sous-estimé).
Au final Le Paradis en est vraiment un, pour le spectateur en tout cas. C'est une superbe réflexion sur les bonheurs qui peuvent paraître anecdotiques et qui pourtant remplissent nos vies et nous permettent d'appréhender plus sereinement notre finitude, comme disait l'autre. Et on ressort de cet étonnant film le sourire rivé aux lèvres, comme après une longue randonnée dans une nature vierge, heureux et apaisé.