Film après film, Thomas Lilti nous pique dans la même veine ! Après son brillant Hippocrate, son touchant Médecin de campagne, voici son œuvre peut-être la plus intime, tout aussi palpitante et bourrée d’humour que les précédentes, mais plus tendue, pleine de suspense. Avec Première année (il s’agit bien sûr de la PACES, Première Année Commune des Études de Santé), le réalisateur continue à disséquer avec brio et aisance le premier métier qu’il a exercé et aimé (qu'il aime encore !), celui de médecin. En centrant son intrigue sur le concours qui donne accès à la fac de médecine, il revient aux sources, celles dans lesquelles on se plonge pour se gorger goulûment de savoir.
Mais forcément, la description n’en restera pas là. Dans les coulisses de ce prestigieux cursus, se cache un univers impitoyable. Chaque étudiant connaît le prix à payer et sait que l'attend un véritable parcours du combattant, une course effrénée à la réussite, fût-ce au détriment des autres et un peu de soi-même. Ainsi germent, dans les amphithéâtres surpeuplés, les ferments d’intrigues qui n’ont rien à envier aux tragédies grecques. C’est une guerre ouverte que les carabins doivent livrer à armes inégales, une guerre au plus fort de laquelle on se demandera si l’humanité va en ressortir triomphante ou laminée par une compétition féroce qui fait plus appel au cerveau reptilien qu’à l’intelligence du cœur. Il est assez sidérant de constater que les premiers pas des futurs soignants, au lieu de valoriser l’empathie qui leur sera indispensable dans leur éventuelle carrière, les conduisent à la faire taire à tout prix. Il devient vite évident que le système éducatif qui forme nos élites est bel et bien tombé sur la tête. Si Thomas Lilti le décrit comme une véritable « boucherie pédagogique », il nous convie en parallèle à une chouette aventure humaine, aux prémices d’une amitié aussi exaltante qu’une grande histoire d’amour. Ce qui n’enlève rien à la portée politique et sociale de son analyse, subtile et cinglante.
Va savoir pourquoi les choses se goupillent soudain étonnamment limpides, sans qu’on les ait provoquées. Ainsi la rencontre entre Antoine et Benjamin : dès qu’ils posent leurs fesses sur le même banc d’un amphi survolté, s’impose une complicité spontanée entre ces deux-là qui la seconde précédente ne se connaissaient pas. Très rapidement ils décident de s’entraider pour apprendre, réviser, ne se lâchant plus d’une semelle, s’épaulant, malgré la concurrence enragée qui règne entre les étudiants et qui n’incite guère à la solidarité. Au milieu de cette jungle frénétique, nos deux comparses font figure de deux bisounours indisciplinés. Le tandem est pourtant improbable : Antoine le multi-redoublant qui, malgré les embûches, s’acharne par conviction profonde et Benjamin, tout juste bachelier, fils de chirurgien pour lequel tout semble si facile… Tiens au passage, Benjamin, c’était aussi le prénom du héros d’Hippocrate ainsi que le second prénom du réalisateur… et notre petit doigt nous dit que ce n’est pas une simple coïncidence : cette pure fiction qui n’est pas autobiographique est tout de même ancrée dans une belle part de réalité et truffée d’expériences vécues.
Le duo Benjamin/Antoine est brillamment interprété par William Lebghil et Vincent Lacoste. Ils déploient une panoplie de jeu impressionnante, nous font vibrer avec les angoisses, les incertitudes, les jalousies, la joie juvénile de ces grands gosses exaltés sur les épaules desquels va reposer la lourde responsabilité de la vie ou de la mort de futurs patients, celle de réparer « les conneries de la nature ». C’est beau, c’est chaleureux, généreux, truffé de questions sous-tendues, notamment la prédestination des milieux sociaux dont on vient… Et tant d’autres subtilités impossibles à vous narrer ici.