It Must Be Heaven

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ES fuit la Palestine à la recherche d'une nouvelle terre d'accueil, avant de réaliser que son pays d'origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d'une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l'absurde. Aussi loin qu'il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie.
Un conte burlesque explorant l'identité, la nationalité et l'appartenance, dans lequel Elia Suleiman pose une question fondamentale : où peut-on se sentir « chez soi » ?

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FESTIVAL DE CANNES 2019 : COMPÉTITION

 Tragédie burlesque

Dix ans après Le temps qu’il reste, le pince-sans-rire palestinien Elia Suleiman (prix du jury 2002 pour Intervention divine) revient en compétition avec un titre qui marque son retour à la mise en scène depuis sa contribution au long métrage collectif 7 jours à La Havane, montré dans le cadre d’Un certain regard en 2012. Il a présidé entre-temps aux destinées du Marché du Film, développé par le Doha Film Institute. Révélé à Venise où Chronique d’une disparition lui a valu le prix du meilleur premier film en 1996, il a présenté son moyen métrage Cyber Palestine à la Quinzaine des réalisateurs en 2001, puis a réalisé l’un des 33 sketches de l’œuvre collective Chacun son cinéma (2007), initiée par Gilles Jacob à   l’occasion du 60e anniversaire du Festival de Cannes. It Must Be Heaven est un conte  introspectif et une quête identitaire à la fois burlesque et tragique dont il tient le rôle principal.

On nous permettra de considérer cette Mention spéciale, créée pour l'occasion par le jury du dernier Festival de Cannes, comme une Palme d'Or ex-aequo qui rassemblerait dans un même enthousiasme deux films aussi différents que Parasite et It Must be heaven. Lequel s'est vu en outre distingué par le Prix amplement mérité de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique. Il fallait bien ça pour mettre en lumière une œuvre aussi singulière, secrète et accueillante, merveilleusement drôle en même temps qu'éminemment politique et offrant de multiples niveaux de lecture. L’univers d’Elia Suleiman n’est pas sans rappeler celui d’un Jacques Tati ou d’un Buster Keaton. Tout aussi tendre, imaginatif, il se moque de toutes nos contradictions, même des siennes propres. Il excelle non seulement dans le domaine de la dérision, mais dans celui de l’auto-dérision salutaire. Une fois de plus, Elia Suleiman interprète d'ailleurs lui-même son alter ego autant onirique que réel. Existe-t-il une part d’autobiographie dans le récit ? Quelle est la part d’affabulation ? Qu’importe ! Ce qui est vrai, c’est le regard décalé de l’artiste sur le monde, son art de l’extrapolation, servi par une mise en scène magistrale. Chaque cadre est un authentique bijou de composition, l’image est splendide, tirée à quatre épingles (il faut préciser que son directeur de la photographie est Sofian El Fani, celui de La Vie d’Adèle, de Timbuktu…). 
Ça commence par une histoire à rebondissements autour d’un citronnier en Palestine. Alors qu’Elia Suleiman vient de trier quelques vieilleries dans la maison encore endeuillée de sa mère et qu’il prolonge ses rêveries dans un verre de vin, son oreille est attirée par un bruit dans le jardin. Il surgit alors tel un suricate derrière la balustrade du balcon. Surpris, son voisin, qui s’était introduit en catimini dans le jardin maternel pour le dépouiller de ses citrons, se transforme en moulin à paroles comblant le silence laissé par Elia qui l’observe de ses grands yeux étonnés, son éternel chapeau vissé sur la tête. Entre deux épisodes à répétition de cette mésaventure qui va devenir de plus en plus croustillante, se grefferont une cascade de saynètes drolatiques. La cavalcade effrayante et risible d’hommes armés dans une rue déserte, le repas terne d’une jeune femme prise en sandwich entre un inénarrable duo de frères barbus…
Si le premier tiers de l’action prend vie dans la cosmopolite Nazareth, elle va s’envoler finement vers d’autres capitales. Paris tout d’abord où notre homme mutique regarde passer des femmes irréelles, comme tombées de gravures de modes, un sans-papier poursuivi par une horde de flics, un défilé du 14 juillet auquel une moto-crotte emboîte le pas, un char orphelin déambulant de façon improbable, le ballet d’éboueurs noirs ou celui de touristes asiatiques… Paname sage comme une image de carte postale, vidée de ses citoyens, de sa substantifique mœlle… Viendra ensuite le tour de New York, ses checkpoints, ses étals de légumes qui la font ressembler à un souk. Le bougre se joue des clichés, s’en gargarise, greffant des éléments ubuesques qui évoquent le fantôme de son pays. Chaque plan extrêmement chorégraphié nous parle en creux du conflit israélo-palestinien, dresse une critique inquiète de l’inflation sécuritaire, du climat de tension mondial. 
Si on a pu croire un instant le scénario inexistant, il se révèle au contraire extrêmement bien ciselé jusqu’à faire transparaître une thématique puissante en filigrane qui va relier ces paraboles contemporaines, tour à tour burlesques ou poétiques, entre elles. Avec une ténacité toute balzacienne, Elia Suleiman compose sa propre comédie humaine, caustique, désabusée. Ses mines taquines, incrédules, questionnent ce qu’on appelle nos civilisations. Elles mettent en relief la bêtise des hommes, leur sauvagerie, leur égoïsme. Chaque silence se fait éloquence, tandis que le cinéaste promène son regard sans parole sur un monde devenu fou qu’il réenchante malgré tout. 
It must be heaven se traduit évidement par « ce doit être le paradis ». Le constat est cinglant : si tant est qu’il existe, il n’est pas sur cette terre.