Étrange, insolite, dérangeant, curieux, australien et blasphématoire, Bad boy bubby est un film hors du commun. Une sorte de conte philosophique qui bouscule toutes les règles, toutes les certitudes, qui fascine par sa liberté et son audace. Tourné en 1993, c'est le cinquième long métrage du réalisateur australien Rolf de Heer, qui a continué à nous donner des œuvres toujours singulières et souvent formidables, dont le récent Charlie's country. Depuis 35 ans, Bubby vit un éternel état d'enfance, cloîtré dans une cave-appartement, privé de la vision d'un ailleurs par sa mère qui prétend que dehors, il n'y a que dangers, pollution et autres terribles menaces pour le petit Bubby. Vilain Bubby qui se croit toujours un enfant faute d'avoir vu d'autres enfants, qui se croit protégé faute d'avoir pu mesurer le danger, qui se croit aimé faute de connaître l'amour. N'ayant de la vie et de ses valeurs que la connaissance déformée que sa mère obèse et dérangée lui en filtre. Toutes ces années pleines de jours privés de lumière ! Bubby attend dans le noir que sa mère revienne, qu'elle quitte le masque à gaz dont elle s'affuble chaque fois qu'elle sort, lui décrivant un monde post-apocalypse pour qu'il reste gentiment scotché à la même place, pétrifié par le regard du crucifié accroché au mur, terrifié à l'idée des dangers supposés qu'elle affronte pour lui. Elle le baise, elle le bat, le nourrit et le lave, satisfaisant tous ses besoins, lui insufflant la terreur permanente de tout ce qui ne vient pas d'elle, alternant coups et caresses pour qu'il ne tente pas d'essayer de respirer hors de cette cave… de ce caveau… Et puis un jour, le pasteur, poivrot dégénéré qui fit office d'ensemenceur 35 ans avant, fait un come-back inattendu dans la vie de la mère, bouleversant celle de Bubby par la même occasion. Lequel, emballant ses parents dans le même film plastique qui s'était montré efficace pour emballer son chat (vous verrez bien…), finit par émerger dans les rues d'une Australie déglinguée, puritaine, désespérante, avec sa naïveté intacte, son ignorance absolue… émerveillé et effrayé à la fois par ce monde qu'il découvre, beau et violent, plein de règles qu'il ignore et de contradictions qui sont pour lui source d'étonnement permanent et pour nous occasions de franche rigolade… Et il n'en revient pas de découvrir les autres humains : clochards, choristes de l'armée du salut, galeriste dandy… Fabuleux moment de tendresse lors de sa rencontre avec les trisomiques, fabuleuse douceur de l'infirmière aux seins abondants… Pour Bubby qui ne sait que répéter les mots qu'on vient de lui dire, incapable de communiquer vraiment, la rencontre avec un groupe de rockers marginaux va être déterminante : au public en délire auquel il recrache les mots et les phrases qui l'ont marqué, Bubby crie son amour et sa haine, sa rage, son désir incestueux des seins immenses de sa mère. Bubby exorcise sa souffrance, règle son compte à son passé, vomit sa douleur, accède enfin à la vie. Une vie où le masque à gaz n'est pas nécessaire, où l'amour peut se vivre sans culpabilité, où la liberté se chante, et le bonheur, même… peut-être… Pour peu qu'on accepte d'être surpris, dérangé, bousculé (voir plus haut), c'est un moment de cinéma riche et atypique qui s'offre à nous, à la fois modeste et ambitieux, qui impose peu à peu un univers aussi cohérent qu'inquiétant, où se déplacent sans cesse les frontières établies de la(l'a)normalité, et où se joue un drôle de drame : celui précisément de notre pauvre humanité…