En ce temps-là, guère plus de cent ans, quasiment hier quand on y pense, un tout petit moment comparé au temps écoulé depuis l'instant décisif où l'éternel barbu a piqué une côte à Adam pendant son sommeil pour fabriquer Eve… définissant ainsi d'emblée une forme de hiérarchie entre ses créatures, au point que bien plus tard, en ce temps-là donc, on n'imagine toujours pas qu'une femme puisse être une personne à part entière, qu'elle puisse penser, créer, échapper à son destin d'épouse au foyer dont l'unique acte de création doit consister à se reproduire, toute autre forme d'expression étant pour elle accessoire et d'agrément…
1900, tandis que Camille Claudel en bave des ronds de chapeau en France, au nord de l'Allemagne, Paula Becker vient juste de faire vingt-quatre ans.
Paula, c'est une grande fille pleine de vitalité, de désirs, d'humour. Elle n'en a toujours fait qu'à sa tête – qu'elle a bien belle autant que bien pleine – et son coup de pinceau s'affirme loin des codes que son milieu essaie de lui imposer. Sa peinture est comme elle : forte, pleine de matière, originale, libre. À contre-courant de ce que ses prétendus maîtres lui enseignent, elle peint à grandes touches ce qu'elle ressent, au gré des rencontres : les gens du peuple, les paysages… refusant de se laisser dicter sa place, son inspiration, son style. Quand elle épouse Otto Modersohn, il est peintre aussi, il est reconnu, a déjà du succès et malgré la forte complicité qui règne entre eux, malgré tout l'amour et l'admiration qu'il lui voue, Paula se rend vite compte qu'elle ne pourra s'affirmer pleinement qu'en prenant le large. Elle va donc partir pour Paris, la ville pullule d'artistes, les rencontres sont stimulantes: Rilke, Gauguin, Cézanne, les Nabis, plein d'autres… Et Paula peint, évolue, éclectique, abondante. Chacun de ses séjours à Paris la conforte dans son style, le nourrit, l'enrichit.
La vie de Paula ne sera pas très longue, elle mourra juste après avoir donné naissance à sa fille, à trente et un ans, laissant plus de sept cents toiles, treize estampes, un millier de dessins… Une existence brève mais intense et productive qui laisse de quoi remplir le musée qui lui est dédié en Allemagne, faisant d'elle la première femme à connaître cette reconnaissance.
Pour parler de cette femme hors norme, il était exclu de se montrer académique et figé ; Christian Schwochow a choisi une comédienne à la personnalité singulière, à la présence forte : Carla Juri. Paula rit fort, marche à grand pas, elle est robuste, ne cherche pas à minauder ou à plaire. À une époque où on demandait avant tout aux femmes d'être charmantes, décoratives, discrètes, elle vit à fond, ne cède sur rien, se moque des conventions. Elle est une femme libre et au-delà d'un portrait d'artiste qui mérite d'être connue pour son œuvre , le film raconte qu'il est possible de se vivre femme autrement, quelles que soient les circonstances, l'époque, la pression culturelle et sociale… « Aujourd'hui, il est dur de se réaliser pleinement, en tant qu'amant, que parent, que salarié », dit le réalisateur, « l'histoire de Paula tourne autour de cette question et en cela elle est absolument moderne. » Chose inhabituelle : ce sont les deux scénaristes Stefan Kolditz et Stephan
Suschke qui ont travaillé sur la personnalité et le destin de Paula Becker avant de contacter Christian Schwochow pour qu'il s'empare du projet.