C'est un très joli conte moderne qui fait du bien au moral dans ces temps grisailleux où l'espoir s'est un peu trop perdu dans les cumulonimbus menaçants. Un conte, donc ne tentez pas d'y chercher coûte que coûte le réalisme sous peine de vous gâcher le plaisir. Il est par exemple évident que Sara Forestier se fiche de la sacro-sainte vraisemblance lorsque, avec ses trente ans, elle se donne le rôle d'une lycéenne qui en a seize ou dix-sept ! Et très rapidement on s'en fiche aussi parce qu'elle le joue avec un tel talent et une telle sincérité qu'elle emporte l'adhésion. Comme souvent dans les contes, il va s'agir d'une belle, d'une magnifique histoire d'amour, d'autant plus magnifique qu'elle est a priori improbable, voire impossible…
Lila est donc lycéenne et brillante élève, en particulier en français. À l'écrit tout va bien, elle est à l'aise, elle a un vrai talent d'expression qui lui vaut d'excellentes notes et les encouragements enthousiastes de son prof. Mais à l'oral, c'est la panique : Lila est bègue et elle perd totalement ses moyens dès qu'elle doit prendre la parole – le film aborde remarquablement le handicap que constitue le bégaiement et la première séquence montre d'ailleurs un vrai groupe de parole réunissant des personnes bègues. Et cette année, Lila doit passer l'oral de français du bac : l'angoisse ! Elle n'arrive à s'exprimer à peu près que lorsqu'elle est en famille, avec sa petite sœur volontiers peste qu'elle aide à faire ses devoirs, et son père dépressif depuis le décès de sa femme, qui traîne sa mélancolie taiseuse en peignoir mordoré devant la télé (génial Jean-Pierre Léaud décidément au mieux de sa vieillesse depuis La Mort de Louis XIV).
Mo est un solitaire au grand cœur, un beau brun ténébreux un peu voyou sur les bords, un James Dean suburbain qui vit de paris sur des courses de voitures clandestines se déroulant la nuit dans de gigantesques hangars désaffectés et qui habite dans un autobus à impériale immobilisé sur un terrain vague. Mais le grand dur cache un secret : il ne sait pas lire, il n'a jamais appris…
Le coup de foudre va se produire à un arrêt de bus d'une de ces banlieues franciliennes indistinctes, entre la jeune fille apeurée murée dans son silence, harcelée par quelques imbéciles moqueurs de sa classe, et le caïd qui parle fort. Entre celle qui ne communique que par des petits mots écrits sur son carnet et celui qui ne veut pas avouer qu'il ne sait pas les lire, ça ne va pas être facile mais ça va faire des étincelles, ça va être grandiose !
D'une générosité et d'une énergie débordantes, M repose avant tout sur l'alchimie un peu miraculeuse entre ses deux personnages, donc entres ses deux acteurs principaux : Sara Forestier a une capacité de métamorphose fabuleuse entre le mutisme et la passion amoureuse, et la révélation Redouanne Harjane, peu connu au cinéma mais identifié par les amateurs de stand up, fait preuve d'une présence rare, entre charisme viril, fragilité cachée et blessure indicible.
Mais M est aussi une belle réflexion sur l'importance du langage, véritable enjeu de la lutte incessante des personnages qui en sont privés. L'amour permettra t-il à Lila de briser enfin son mur de silence et d'affronter en confiance son épreuve d'oral de français ? L'amour poussera-t-il Mo à éteindre son orgueil pour révéler son secret et apprendre enfin à lire ?
Si on a un peu suivi le parcours de Sara Forestier, ici réalisatrice pour la première fois, M apparaît comme une nouvelle étape, aussi logique qu'indispensable : révélée parL'Esquive d'Abdellatif Kechiche, qui la filmait en lycéenne s'attaquant avec ses camarades de classe à la langue presque étrangère de Marivaux, césarisée pour son rôle de militante volubile et irrésistible dans Le Nom des gens, elle montre ici magnifiquement la magie des mots qui changent le cours des vies…