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Nous sommes au temps du Roi Soleil, Louis le quatorzième pour l'état civil, au moment où, au faîte de son pouvoir, il a décidé de déplacer sa cour pléthorique du trop étroit palais du Louvre jusqu'à Versailles qui sera pour l'éternité ou presque le signe de sa magnificence (en tout cas avant que Jeff Koons s'en mêle). Très attaché au moindre détail dans la création de son environnement, doté d'une imagination débordante – bien au-delà souvent des possibilités techniques de l'époque – le roi est particulièrement obsédé par la perfection de ses jardins.
En la matière, le héros du moment se nomme André Le Nôtre, qui immortalisera dans les livres d'histoire la tradition des jardins dits « à la française », ces jardins où le paysagiste domptait la nature dans un délire géométrique absolu, avec des parterres plus complexes que certains problèmes mathématiques et des buissons strictement taillés en cônes. Le pouvoir de Le Nôtre sur sa discipline est incontesté au point que l'artiste s'en ennuie presque et cherche un nouvel élan : la conception puis la réalisation du « Bosquet des Rocailles », rêvé par Louis XIV comme un havre de paix, et d'une salle de bal en plein air constituent un défi à sa mesure, qui va lui permettre de se remettre en cause…
Et c'est là que la romance fait son apparition, que la fiction fait un plaisant écart avec la réalité historique avec l'apparition de Sabine de Barra, veuve brisée et tourmentée, mais aussi paysagiste passionnée et inspirée, adepte du chaos dans la nature, à vingt mille lieues des obsessions d'ordre de Le Nôtre… Évidemment la rencontre entre les deux personnages va faire des étincelles : conflit, fascination, naissance de l'amour…
Mais au-delà de la love story à rebondissements, le film décrit de manière étonnamment émouvante la cruauté des sentiments, souvent régis par le libertinage et la raison cynique : ceux d'un roi marié trop jeune qui n'a d'yeux que pour sa maîtresse, la Montespan, mais qui est néanmoins effondré à la mort de sa femme toujours loyale et envers qui il a toujours eu de la tendresse, la mélancolie lancinante d'un Le Nôtre mal marié à une arriviste qui noie le vide de sa vie dans des relations rapides avec des jeunes courtisans, la tristesse de toutes ces femmes qui sont aussi des mères et qui voient leurs enfants en bas âge fréquemment emportés par la maladie…
La comédie historique est tout à fait réussie, la mise en scène met parfaitement en valeur la splendide reconstitution de Versailles et du Louvre… dans des châteaux anglais ! Les Jardins du Roi propose en outre une étude de mœurs bien sentie, portée par une remarquable interprétation : Kate Winslet incarne une Sabine particulièrement attachante, partagée entre le deuil et la renaissance de la passion, animée d'une force créatrice rayonnante ; Stanley Tucci est hilarant en Philippe d'Orléans, frère exubérant et fantasque du Roi, tandis qu'Alan Rickman est un parfait Louis XIV, monarque absolu qui navigue entre gravité et folie des grandeurs.