Les Sœurs Quispe

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Chili 1974. Justa, Lucia et Luciana Quispe, trois bergères de l'Altiplano, mènent une vie retirée au rythme de la nature. À son arrivée au pouvoir, Pinochet remet en question ce mode de vie ancestral. Les trois sœurs traversent alors une crise existentielle qui aura un retentissement unique dans l'histoire contemporaine du Chili.

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Nous sommes en 1974, aux confins de l'Altiplano chilien, à plus de 4000 mètres d'altitude, là où l'air et la végétation se font rares. Justa, Lucia et Luciana sont trois sœurs, bergères indigènes Coyas entre deux âges. Leur existence minimale et répétitive s'apparente à de la survie, les bergères vivant aux creux de grottes où elles partagent des repas de fromage et de viande séchée tout en tentant d'échapper aux vents glacés. La journée est occupée à la surveillance des animaux, et les conversations du soir, souvent graves, tournent autour de la mémoire de leur sœur disparue, victime l'hiver passé d'un coup de froid, et des échecs rencontrés auprès des hommes, auxquels ces femmes déjà avancées en âge semblent avoir renoncé définitivement. Malgré une certaine accoutumance à la solitude, l'année est rythmée par les rencontres avec d'autres bergers. Et quand elles ne les voient plus et que leur parvient la rumeur selon laquelle beaucoup d'entre eux auraient vendu leur troupeau, l'angoisse commence à les envahir, car ce qui leur fait supporter cette rude existence pourrait disparaître. L'arrivée d'un marchand forain, petite parenthèse joyeuse qui voit les trois femmes acheter une robe ou du tissu, va renforcer leur inquiétude : le nouveau pouvoir en place (nous sommes l'année qui suit le coup d'État de Pinochet) a décidé d'exproprier les éleveurs de l'Altiplano, coupables selon lui de provoquer la désertification de ces terres rares en végétation. Et le monde des trois sœurs Quispe, dont on se demande bien qui il peut déranger, menace d'être réduit à néant. Alors, peu à peu, on sent venir l'inéluctable. L'arrivée d'un étranger en fuite vers la frontière argentine – un homme que les trois sœurs, très loin des bouleversements politiques de Santiago, croient être un voleur – pourrait peut-être changer la donne, la plus jeune des sœurs semblant attirée par l'énigmatique personnage… Mais peut-on changer une vie qui se perpétue de génération en génération depuis des temps immémoriaux ? Ces bouleversements sont aussi l'occasion pour les trois sœurs taiseuses de se dire des choses et des secrets enfouis qu'elles ont tus, malgré les longues veillées qui se sont succédé pendant des années.

C'est un film aussi beau et aride que les paysages minéraux au cœur desquels il se déroule, que les visages burinés de ses trois personnages. Un film d'un minimalisme puissant, dont on pourrait croire au premier abord qu'il ne raconte rien ou presque alors qu'il relate une histoire vraie, une histoire ordinaire qui s'imposa pourtant comme un événement majeur de l'histoire du Chili, que le récit de ce fait divers marqua durablement son peuple et inspira une pièce de théâtre dont est adapté le film du jeune Sebastián Sepúlveda.

Superbement filmé dans un cinémascope digne d'un western de John Ford, le désarroi des sœurs Quispe, au cœur des paysages majestueux qui les ont toujours vu vivre, est bouleversant, d'autant que les trois personnages sont incarnés par des actrices incandescentes de présence quasi-muette : Catalina Saavedra, vue dans La Nana, Francisca Gavilán, alias Violeta, et dans le rôle de l'aînée, la propre cousine des sœurs, Digna Quispe, non professionnelle mais aussi impressionnante que ses collègues. Au final, le film s'avère une ode splendide et tragique à la résistance, ici pour maintenir un mode de vie ancestral face à l'arbitraire des États.